OPINION

 

Les opportunités peuvent bien ne pas se renouveler !
Partie II

 Baba Sayed

 --> partie I

Malgré un rapport de force nettement favorable, sur le plan international, à l'État marocain et un climat délétère et malsain nourri, en son sein, par une guerre de pouvoir, sans merci, entre ses différents clans, il faut reconnaître que le Polisario a su, pendant de longues années, sauver la mise et préserver l'essentiel, c'est-à-dire le droit inaliénable du peuple sahraoui de choisir, dans des conditions liberté et de transparence vérifiées, entre l'indépendance et l'intégration au Maroc. Cette stratégie a été malheureusement abandonnée par la suite avec la désignation de James Baker au poste de représentant spécial du secrétaire des Nations unies pour le Sahara Occidental.

Devenant l'interlocuteur de James Baker, le symbole par excellence de l'Amérique triomphante à laquelle, désormais, rien ne semble résister, le secrétaire général du Polisario a cru que l'heure de l'indépendance a sonné et que le moment est venu pour lui de réaménager, avant que ne soit trop tard, la maison (la Kheima) du Polisario de manière à pouvoir continuer d'y régner en sultan absolu. Au lieu de tirer, comme l'y invitaient les militants dévoués à la cause sahraouie depuis des années, les enseignements qui s'imposent de l'amère et douloureuse expérience de 1988, de renforcer les institutions de l'État, d'ouvrir et de multiplier les espaces publics de concertation et de dialogue entre la direction et la société civile, d'associer le plus grand nombre de citoyens (nes) à la prise de décision, le secrétaire général du Polisario décide, en petit roi absolu, et à la grande surprise de la majorité de la population sahraouie, de se débarrasser progressivement des cadres coupables de lui avoir tenu tête, au cours des trente années de son règne, et qui seront susceptibles de lui faire de l'ombre ou de gêner ses ambitions et son pouvoir dans le cadre du futur Sahara indépendant. C'est ainsi que des dizaines de sahraouis se sont trouvés du jour au lendemain au chômage et d'autres, membres du comité exécutif (l'instance suprême du Polisario) ou du bureau politique, désignés gouverneurs de Wilayat ou ministres à la tête de ministères fictifs qui n'ont d'existence que le nom ...

Une fois la plupart des cadres soupçonnés d'insubordination, "liquidés", marginalisés ou congédiés sans ménagement et sans égard pour le dévouement et les services rendus à la cause sahraouie, le secrétaire général du Polisario a mis sur pied un cabinet occulte dont l'utilité est que ses membres sont taillables et corvéables à merci.

Croyant sans doute par le biais de ces mesures renforcer et étendre son pouvoir et se donner ainsi les possibilités, à moyen et à long terme, d'un règne sans partage, le secrétaire général du Polisario n'a fait en réalité, malheureusement, qu'affaiblir le Polisario pendant un moment sensible de son affrontement avec l'occupant marocain partant son pouvoir propre. Comme l'ont montré ultérieurement les graves et dangereux dérapages enregistrés dans la gestion du dossier depuis la désignation de James Baker comme représentant spécial du secrétaire général des Nations unies.

Prenant la mesure des difficultés que traversent le Polisario, le Maroc a adopté une politique d'intransigeance qui bien qu'elle se reflète dans un discours, certes, indigeste (1), n'en est pas moins, eu égard aux choix qui sont les siens(2) , payante (3).

Après avoir pendant longtemps soutenu la thèse du dossier clos, le Maroc a laissé entendre qu'il pourrait ne pas être contre un référendum à condition toutefois qu'on lui donne les garanties nécessaires que son résultat lui soit favorable. Avec l'arrivée de Mohamed VI au pouvoir, la ligne de conduite est devenue, le Sahara est le nôtre, nous y sommes et nous comptons y rester. Cette intransigeance subite est la conséquence d'un choix stratégique opéré par ce dernier. Dans la mesure où il refuse de régner sans commander, le roi ne peut diriger le Maroc que par l'instrumentalisation de la question du Sahara Occidental. Refusant toute forme de démocratisation qui ne pourrait en définitive que mettre en évidence le caractère archaïque de son régime, le jeune roi n'a d'autre choix, pour imposer son régime de droit divin ou de le faire accepter par une majorité de Marocains, que de s'employer à montrer que le danger pour le Maroc n'est pas l'absence de démocratie, le chômage et la misère endémiques qui sont en train de transformer le Royaume en poudrière prête à exploser à tout instant, mais le Polisario et son " méchant " allié l'Algérie ...

En plus de museler toute forme d'opposition intérieure et de condamner toute forme de démocratisation dans le cadre de la monarchie, la nouvelle politique initiée par Mohamed VI vise, nous l'avons souligné ci-haut, à obtenir d'un Polisario affaibli et démoralisé par la politique du sur-place imposée par son secrétaire général, le maximum de concessions.
Nous connaissons la suite. Le Polisario a fini par renoncer à sa revendication principale, à savoir l'indépendance et accepter (pourquoi et comment ?) le principe d'une autonomie fictive qui condamne pour le restant de leurs jours les Sahraouis à être les éternels Jitanos du Maghreb. Privés d'une identité sahraouie qu'ils ne pourraient préserver que dans le cadre d'un État sahraoui, ils ne peuvent être tout au plus que des citoyens de seconde zone dans la société marocaine...

Il est à souligner cependant que la situation du Polisario, malgré son caractère passager d'extrême gravité, pourrait bien, à certaines conditions, être surmontée. Car, n'oublions pas que si le Maroc paraît, depuis les derniers mois, donner l'impression de retrouver une certaine agressivité et détermination dans l'art de brouiller les cartes, cette agressivité et cette détermination n'ont été possibles, selon nous, que parce que le Polisario, paralysé par les stratégies de pouvoir de son secrétaire général, a brillé par son absence sur le plan international. Démoralisés, ses cadres, et comme ont pu le constater ceux et celles qui les ont approchés de près, font preuve, depuis les dernières années, d'un manque d'énergie et de combativité qui en disent long sur leur état moral et psychologique. On le sait bien depuis Thucydide (4), toute défaite est d'abord morale avant d'être matérielle ...

Convaincu que le Maroc de Mohamed VI est un tigre en papier qui ne dispose, ni maintenant ni dans un futur proche, de quelque élément que ce soit de nature à lui permettre d'asséner une défaite matérielle au Polisario, nous croyons qu'il est temps que le secrétaire général du Polisario de mettre fin à ses stratégies égoïstes de pouvoir par lesquelles il a paralysé le Polisario et ses institutions et mis le peuple sahraoui dans l'impossibilité de se défendre et de défendre ses intérêts devant l'occupant marocain. Il est temps que le secrétaire général du Polisario cesse de nourrir la zizanie entre les cadres du Polisario et de les diviser pour mieux les dominer et leur imposer son diktat. Il est temps que le nationalisme qu'il prêche chez les autres trouve aussi le chemin de son coeur et de sa raison.

Si le Maroc a perfidement profité, hier, de la passe difficile qu'a connue l'Algérie pendant la décennie noire, pour affaiblir le Polisario et entériner, en partie, par la communauté internationale son fait accompli sous forme d'autonomie, il est mieux placé pour savoir que l'Algérie vient de retrouver, avec le président Abdelaziz Boutéflika, et sa santé, son unité, et sa fierté. Avec une Algérie unie, forte et déterminée, le peuple sahraoui, à moins qu'il ne devienne Ahmar miyyet alli mayakdar youtabb'a, ne sera jamais vaincu. C'est dire qu'avec la conjoncture actuelle, le secrétaire général du Polisario a une opportunité en or pour montrer qu'il est encore en mesure de privilégier l'intérêt général par rapport à ses stratégies de pouvoir qui ont épuisé, au terme de trente ans de règne sans partage, le peuple sahraoui, nourri la haine et la zizanie entre ses cadres et monté ses composantes ethniques les unes contre les autres. C'est-là la seule possibilité pour lui de nous signifier qu'il pourrait encore être digne de la confiance que la nomenclature sahraouie a placée, un jour de grande détresse, en lui en 1976.

Il est toutefois de notre devoir d'attirer son attention sur le fait que les bonnes opportunités peuvent bien ne pas se renouveler indéfiniment. A bon entendeur salut ...

04.10.05

 

1. Voir la dernière lettre adressée par le compétent représentant auprès des Nations unies, M. Baali, au conseil de sécurité.

2. Sachant parfaitement qu'un référendum d'autodétermination, sous l'égide des Nations unies, au Sahara Occidental ne peut que conduire ce pays à l'indépendance, le Maroc qui a donné son accord de principe à son organisation est depuis lors pris en flagrant délit de ses contradictions.

3. Il faut reconnaître que malgré les violations flagrantes par le Maroc des engagements qu'il a pris dans le cadre du plan de paix entériné par le conseil de sécurité en 1991, il continue quand même de bénéficier d'une impunité qui doit, parfois, faire pâlir de jalousie les représentants de l'État d'Israël. C'est dire ...

4. Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, Paris, Flammarion, 1966


>> [ARSO HOME] - [OPINIONS]