OPINION

 

Pour la raison et le pluralisme, pour la Patrie
 
Louali Salama


Traduit de l’arabe  par Daylol Ayoub [ ]

J’ai lu tout récemment une tribune intitulée « Baba Sayed et Khat Achahid » [en arabe] [en espagnol], et j’ai immédiatement tenté, à partir de mes modestes connaissances épistémologiques, d’en comprendre les dimensions, d’en saisir les dévoilements, d’en décrypter les mécanismes d’analyse, et surtout d’en comprendre la logique politique et critique.
Peine perdue !
Je n’ai trouvé qu’un langage au service de la déraison pure, impuissante et liberticide. Des mots grossiers jetés avec préméditation à la figure du lecteur, un discours despotique, hautain, dont l’esprit et le contenu tendent à soutenir une pensée unique et une raison unilatérale qui, semble-t-il, ne peut souffrir la contestation ou les remises en causes. En fait une position, comme dirait Claude Lefort, de domination et une « logique de survol » dont ne peuvent se prévaloir que les seuls de nouveaux « prophètes » de la politique.    
La visée de cette logique et du discours qui l’accompagne n’est, apparemment, pas de susciter un quelconque questionnement théorique ou épistémologique s’agissant de tel ou tel aspect de la cause nationale sahraouie, d’attirer l’attention des Sahraouis ou de leurs amis sur tel ou tel aspect de son évolution, ou leur faire prendre compte et conscience d’un ou de plusieurs dangers auxquels elle se trouve, exposée dans le présent ou à l’avenir. Non !
la visée apparente de la logique en question et du discours qui lui sert de relais est tout simplement de jeter l’anathème, blesser et humilier « l’ennemi » ou celui qui en tient lieu, le couvrir d’insultes et d’opprobre, sans considération aucune ni pour les sentiments des « victimes » clairement visées ni pour le simple lecteur, curieux de prendre connaissance du débat d’idées entre les sahraouis.
La tribune en question n’est en fait qu’une « agression » caractérisée, perpétuée en dehors de tout cadre éthique ou moral. Sa logique n’est et ne peut pas être, c’est du moins ce dont nous sommes sûrs, celle d’un mouvement politique qui se veut ou prétend être, par-dessus le marché, réformiste. C’est une « rationalité » valable pour d’autres spécialistes peut-être !! Elle n’est en tout cas pas et ne peut en aucun cas être celle de politiques qui veulent exercer leurs talents et leurs compétences en milieu sahraoui où le langage doit être par essence celui du respect de l’Autre et la culture dominante, celle de la raison, de l’indulgence, de la diversité et du pluralisme.
Au lieu du style despotique, injurieux, hautain et injustement, l’auteur de la tribune en question aurait dû privilégier une démarche plus et positive et politiquement plus utile. Il aurait dû s’interroger sur les raisons objectives qui ont amené le frère visé par tant de haine, Baba Sayed, à conclure à la nécessité de l’autodissolution de Khat Chahid.
S’il l’avait fait, l’auteur se serait certainement rendu compte que le mouvement Khat Chahid a déjà perdu toute crédibilité, depuis les honteuses déclarations du dénommé Al Mahjoub Salek qui affirmait, il y a quelques semaines dans les colonnes d’un canard marocain, que le roi du Maroc qu’il suppliait à genoux de lui ouvrir les portes du Palais, après lui avoir tressé des couronnes, n’est pas l’ennemi des Sahraouis …
L’auteur de l’article « Baba Sayed et Khat Chahid » souhaiterait-il que l’on ferme les yeux sur de telles énormités, de laisser sans commentaire ce délire, et d’accepter d’inacceptables dérapages ?   
L’auteur de la tribune en question aurait dû - au lieu de bomber le torse, de faire étalage de son arrogance et de son ignorance des règles minima de la décence et de s’enfermer dans une logique de guerre tendant à considérer l’autre comme le mal incarné- essayer de comprendre que la conclusion à laquelle est arrivé le frère Baba Sayed d’une nécessaire autodissolution de Khat Chahid est avant tout dictée par une nécessité qui s’est imposée d’elle-même : affirmer la représentativité du F. Polisario de tous les Sahraouis et priver ainsi le Makhzen et ses alliés de toute possibilité de contourner ou de remettre un jour en cause cet acquis fondamental des Sahraouis.  
     Pourquoi ne pas prendre au sérieux les inquiétudes du Frère Baba Mustapha Sayed face aux tentatives du Makhzen et de ses alliés de mettre en doute la représentativité du F. Polisario ? Avons-nous le droit de pratiquer une politique de l’Autruche en fermant les yeux sur les tenants et aboutissants des dernières tentatives du makhzen d’instrumentaliser Khat Achahid, et ainsi opposer des Sahraouis à d’autres Sahraouis s’agissant d’une question qui a jusqu’ici fait l’unanimité du peuple tout entier, à savoir que le F. Polisario est le seul et unique représentant de la nation sahraouie ? Devons-nous ignorer ou sous-estimer les inquiétudes exprimées par Baba Sayed quand ces mêmes inquiétudes découlent, par ailleurs, d’une juste,  rigoureuse et intelligente appréciation des derniers développements que connaît notre cause et d’une évaluation tout aussi minutieuse et rigoureuse des buts et des objectifs poursuivis décidément par le Makhzen. Ce sont ces inquiétudes, appréciation et évaluation, n’en doutons pas, de la nature exacte des défis qui nous sont posés en tant que Sahraouis qui ont amené le frère Baba Mustapha Sayed, et dans le souci manifeste de contrer les manœuvres du Makhzen marocain et de ses agents, à proposer aux frères de Khat Chahid de prendre ce qu’il appelle la décision courageuse et volontaire de dissoudre leur mouvement.
Car cette décision si elle est prise, outre le fait de refléter un sens élevé de responsabilité chez les frères responsables de Khat Chahid, viendrait consacrer un constat qui participe désormais de l’évidence pour tout sahraoui, à savoir que le mouvement Khat Chahid a perdu définitivement toute sa crédibilité après les dernières déclarations du dénommé Al Mahjoub Salek à l’hebdomadaire marocain, Tel Quel ; déclarations qui ont clairement démontré que le mouvement en question n’est plus qu’une continuation, par d’autres moyens certainement et à travers d’autres visages, de la guerre impitoyable livrée depuis des décennies par le Makhzen contre le peuple sahraoui.
Devons-nous faire savoir, par ailleurs, à l’auteur de l’article « Baba Sayed et Khat Chahid » que la manœuvre consistant à faire passer Baba Mustapha Sayed pour un allié ou un porte parole de la direction sahraouie actuelle n’est pas des plus intelligentes dans la mesure où le Frère Baba a, en même temps, qu’il a appelé à la dissolution ou l’autodissolution de Khat Chahid, a invité aussi ceux qui détiennent au Sahara Occidental la réalité du pouvoir à congédier sans attendre l’équipe sahraouie chargée, jusqu’ici, des rapports avec les Nations unies. Ce qui, faut-il y insister, montre de sa part non seulement un souci manifeste d’équilibre dans la critique mais aussi et surtout que sa lecture, sans concession ni complaisance, de notre « réalité » politique n’a pour objectif que de mettre le doigt sur nos faiblesses et nous aider à trouver les moyens les plus appropriés pour y remédier.
Ce sont-là quelques unes des remarques que l’auteur de la tribune aurait dû prendre en considération avec calme, sérénité et intelligence politique, au lieu de se laisser emporter par un discours arrogant et intolérant ponctué, par ailleurs, d’inutiles menaces que personne ne saurait prendre au sérieux. L’auteur aurait dû aussi se départir de cette suffisance insupportable qui lui fait affirmer, avec un ton péremptoire tout aussi agressif et insupportable, des absurdités que rien n’étaie à part sa volonté pharaonique et mégalomaniaque qui transpire dans chaque ligne…
L’auteur ne semble pas se rendre compte que son discours « déclamatoire » est un déni intolérable de la logique et de la raison. Il oublie que l’approche démonstrative est la seule susceptible de susciter et de forger les convictions. Et comme il semble évident que la politique dans « la logique » de notre auteur ne peut se décliner que de manière « unique » et « unilatérale », tout comme la pensée (toute pensée) est par « essence « exclusive », qu’elle ne pourrait s’accommoder ni de la diversité des avis ni du pluralisme des opinions et des sensibilités, nous ne devons nous offusquer outre mesure de la simplicité désarmante de « sa » manière primitive de traiter de ses données et de se comporter avec ses acteurs. Notre auteur, croit, emporté par sa suffisance, qu’il suffit d’adopter un discours théologique où l’on prend la liberté de revêtir certaines expression de sacré et d’en en dépouiller d’autres, de se référer constamment au Bien et au Mal, à la lumière et à l’obscurité, à la croyance et à l’incroyance, l’apostat et au repentir, pour croire que l’on a fait une analyse qui se tient et parachever une édifice « scientifique » !!
A partir de cet univers peuplé, d’ogres et monstres, d’anges et de fantômes où les preux chevaliers blancs sont à la poursuite des méchants « fautifs » à faire « repentir » faute d’avoir pu « détrôner », l’auteur de la tribune en question s’arroge, dans ce monde manichéen, le rôle spécifique tantôt du nouveau « Prophète » impeccable, tantôt du militant fidèle, modeste et humble, ayant pour unique souci de veiller sur l’intérêt national. En tout cas, il est toujours prêt à croiser le fer avec l’ « Autre » (tout autre) qui ose contredire le « Prophète » (en fait Abou Soulaimata al kaddab) ou mettre en doute ses intentions, « Autre » qui n’est, en règle générale, et parce qu’il est « Autre » (pas membre de Khat Achahid) qu’un repenti à voir sous l’œil ou un apostat, un opportuniste ou une simple marionnette entre les mains d’ « autres » à éliminer. Ce discours « unilatéral » qui prend ses racines dans une logique d’un sacré « spécialement aménagé » par et pour Abou Soulaimatta (le nouveau prophète), n’est en réalité qu’un discours de crise qui révèle une insondable pauvreté intellectuelle et dévoile, au grand jour, une impuissance qui n’est autre que celle de l’incompétence dans le traitement de questions politiques sensibles dans leur complexité et leur globalité.  
Mais ne méprenons sur l’essentiel. Tout le charabia qui a servi tout au long de l’article de bouclier de défense à l’auteur de «  Baba Sayed et Khat Chahid » n’était en fait qu’une simple introduction destinée à préparer le lecteur à accepter un message dont Bousselaimatta est porteur – de la part de qui ?- et dont il n’a voulu nous en révéler le contenu qu’à la fin de son article (ou de ce qui en tient lieu). Ce message est destiné à accréditer la thèse que les Sahraouis, quoi qu’ils disent, quoi qu’ils fassent, seraient, tôt ou tard, amenés, contraints et forcés, à admettre que les négociations avec le Palais royal marocain sont le chemin indiqué pour résoudre leur différent avec le Maroc. Et c’est exactement ce même message que le dénommé Salek Al Mahjoub a voulu lui aussi, dans une fameuse interview accordée à Tel Quel, adresser aux Sahraouis, quand il s’est mis à plat ventre pour réclamer à cor et à cri à Mohamed VI qu’il ouvre ses Palais devant les Sahraouis !!
L’auteur de « Baba Sayed et Khat Chahid » est-il le même individu que celui qui a accordé l’interview à l’hebdomadaire Tel Quel ? Ou est-ce pure télépathie entre deux sahraouis qui, bien qu’ayant deux pseudonymes différents, partagent les mêmes sentiments bienveillants à l’égard du Makhzen et sont décidément bien décidés à les faire « partager » par tous les Sahraouis restés jusqu’ici méfiants à l’égard des offres mirifiques des rois marocains ?         
Il faut dire que bien nous ne croyions pas particulièrement au hasard en politique ni à la télépathie dans les intentions et que, ne serait-ce que pour cela, la question pourrait présenter un intérêt certain pour nous nous n’avons pas jugé utile, « pour le moment », d’y accorder une importance spécifique.
Ce qui, par contre, nous intéresse, hic et nunc, c’est de rappeler que le F. Polisario, représentant unique et légitime du peuple sahraoui, a eu, dans le passé, à différentes occasions et dans de différentes capitales du monde, parfois de façon publique et parfois de manière secrète, des négociations avec le régime marocain. Ce sont des négociations qui se sont déroulées, sur un même pied d’égalité, entre deux ennemis implacables.
Pour ouvrir ces négociations ou les mener à leur termes (l’accord de paix de 1991), le Front Polisario n’a pas eu à se mettre à plat ventre ni devant le roi ni devant ses chaouichs, ni d’implorer « la sollicitude » de quiconque.
Il a négocié tantôt avec le Palais, tantôt avec ses représentants en tant représentant légitime et exclusif du peuple sahraoui, c’est-à-dire avec la dignité de l’ennemi implacable du makhzen qui sait que la politique est, avant tout, une affaire de rapport de force brut où il n’y a - et il n’y aura jamais- de place pour les défaitistes, les traîtres ou les « faiblards ».

14.11.06


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