OPINION

 

Le sang bleu au Maroc

Nafaa Mohamed Salem

 

En se donnant pour descendants du Prophète, les chérifs ou Chorfas (titre donné aux descendants de Mohamed par Ali et Fatima) s´établissaient au sud du Maroc, ils s´entretuaient, et progressivement, en « séparant le bon grain de l´ivraie », les survivants s´emparaient de l´actuel Maroc. Avares apparemment de nature, ayant l´eau à la bouche, ils lancèrent dans des expéditions à travers le désert même pour simple objectif : le sel. Les accaparants du sang bleu s'appuieront par la suite sur ce vol à main armée pour revendiquer toute la région comprise entre le Maroc et les rives septentrionales du Niger (nord Mali) et du Sénégal (Mauritanie).

Les Chorfas se diffèrent aussi selon le goût des Français, car l'ordre de succession dynastique a été à plusieurs reprises modifié par les autorités françaises en fonction de ses intérêts. Au début du siècle passé, le sultan Moulay-Abd-el-Aziz qui a régné de 1894 à 1907, a été destitué par les Français de crainte qu'il se tourne vers les Anglais. Il a été remplacé par son frère, Moulay Hafiz. Ce dernier, jugé trop germanophile, a été remplacé en 1912 par un autre de ses frères, Moulay Youssef. À la mort de Moulay Youssef, en 1927, c'est le troisième de ses fils qui est choisi par Paris pour lui succéder, au détriment des deux premiers. Il régnera sous le nom de Mohammed V. Ce même Mohamed V a été destitué et déporté à Madagascar, Paris avait mis à sa place son cousin, Ben Arafa. La France modifia sa position, autorisa la rentrée en 1955 de Mohamed V, détrôna Ben Arafa, qui finira sa vie en exil à Nice en France. En décembre 1962, son successeur Hassan II fait adopter une Constitution sur mesure, par laquelle le roi, devenu commandeur des croyants, est une personnalité « inviolable et sacrée ». Une vague de répression s'abat alors sur l'opposition de gauche, suivie, après les émeutes de Casablanca en 1965, par cinq ans d'état d'exception. Au mois d'octobre de cette année-là, le chef charismatique de la gauche, Mehdi Ben Barka, est enlevé en plein Paris et secrètement assassiné.

Le danger aux Chérifs vient ensuite de l'armée. Le 10 juillet 1971, une première tentative de coup d'État fait plus de cent morts au palais royal de Skhirat. Le 16 août 1972, c'est le général Oufkir qui monte une attaque aérienne contre le roi, en abattant l'avion qui le ramène de Paris. Mettant la lumière sous le boisseau, Oufkir, responsable de l'opération, selon la thèse « officielle », se suicide. Le général Oufkir, est « exécuté » le soir même de son échec. Il faudra attendre encore trois ans pour que le roi trouve enfin un terrain d'entente avec son opposition, son armée et, sans doute, ses soumis. En novembre 1975, la « Marche verte » organisée à bras raccourcis en direction de ses voisins Sahraouis lui fournit l'occasion de calmer à la dure ses soldats et enfin ses sujets.

À Rabat, les Chérifs Alaouites au trône se sont enrichis au détriment des pauvres marocains à telle enseigne qu'en 1956, leur grand-père ne possédait aucune fortune notable. L'essentiel de cette immense fortune a été accumulé par Hassan II, en ponctionnant l'économie marocaine. En prenant des mitaines, elle est presque toute entière investie à l'étranger en déposant des milliards de dollars dans une vingtaine de banques française, américaine et suisse. Le commerce du haschisch des Chérifs, cultivé au Nord du pays, donnait des résultats qu´on leur envie : une vingtaine de palais, plusieurs milliers d'hectares de terres agricoles, le groupe ONA (Omnium nord-africain) avec forte présence dans tous les secteurs de l'économie… À l'étranger, plusieurs immeubles à Paris et à New York, de nombreux pied-à-terre luxueux aux États-Unis et en France, notamment le château d'Arminvilliers (Seine-et-Marne) deux cents pièces et quatre cents hectares de parc… et l´eau va à la rivière.

Le sang bleu qui règne au Maroc depuis 1666, avec le couronnement de chaque nouveau Chérif, la prise du pouvoir s'accompagnait systématiquement du pillage des richesses des pauvres sujets marocains et de leur accumulation dans les entrepôts royaux. Etant l´enfant de la balle, aujourd´hui le salaire du roi des pauvres est de 36 000 euros mensuels. Il faut cependant rester prudent, le reste est tabou sauf bien sûr les noces d´enterrer sa vie de garçon qui se sont déroulées en présence de 1.500 invités "intimes et amis des Chérifiens". Un défilé de 1.600 soumis habillés en tenue traditionnelles représentant les provinces du royaume. Des fantasias avec plus de 1.500 cavaliers et des orchestres animaient les rues de la capitale marocaine parée de drapeaux et de portraits du roi. Plus de 300 journalistes des médias nationaux et étrangers assuraient la couverture des festivités célébrant événement. Ces journalistes doivent ouvrir chaque journal télévisé sur les nouvelles des Chérifs.

En outre, dans cette vieille monarchie fondée il y a 12 siècle, le sang bleu au Maroc, assurait que la Royauté constitue le garant de l'unité du pays et de la liberté des citoyens. Le Roi du Maroc incarne à la fois une autorité spirituelle et temporelle: "Le Roi, Amir Al Mouminine, Représentant Suprême de la Nation, Symbole de son unité, Garant de la pérennité et de la continuité de l'Etat, veille au respect de l'Islam et de la Constitution. Il est le protecteur des droits et libertés des citoyens, groupes sociaux et collectivités. Il garantit l'Indépendance de la Nation et l'intégrité territoriale du Royaume dans ses frontières authentiques. Le Roi nomme le Premier Ministre. Sur proposition du Premier Ministre, Il nomme les autres membres du Gouvernement. Il préside le Conseil des Ministres, le Conseil Supérieur de la Magistrature, le Conseil Supérieur de l'Enseignement et le Conseil Supérieur de la Promotion Nationale et du Plan. Il promulgue la loi, signe et ratifie les traités. Le Roi est le Chef Suprême des Forces Armées Royales. Il accrédite les Ambassadeurs auprès des puissances étrangères. Les Ambassadeurs et les Représentants des organismes internationaux sont accrédités auprès de Lui. Il déclare l'état d'exception. Il exerce le droit de grâce. Tout cela est hors de cause.

Dans un monde civilisé et émancipé, à côté du geste « baisemain » inconcevable, ridicule et dégradant, les Chérifs se dressent sur leur ergots, obligent qu´on les appelle « sidi » et « Moulay », fasse avec un grain d´encens, de grands salamalecs et des courbettes aux simples fonctionnaires. La tradition incomprise au Maroc, c'est l'omniprésence des portraits de la famille des Chérifs. Les photos de Hassan II, Mohammed VI et des princesses sont accrochées dans tous les lieux publics, dans les maisons, dans les cafés, dans les gares et même dans les rues. Il n´est donc plus étrange de leur lécher les bottes puisque se sont seuls les Chérifs qui portent les culottes.

Les Chérifs au sang bleu, se croient sortis de la cuisse de Jupiter, se drapent dans leur dignité, commandeurs des croyants tuent, exécutent, torturent, kidnappent, violent, volent, induirent et tirent d´erreurs, enrichissent et rendent pauvre. Il ne reste que le Pardon divin, si un jour il le réclament, ce sera certainement par décret royal Chérifien.

Nafaa Mohamed Salem
Représentation du Front Polisario
Stockholm.

23/09/2005.


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