Le dernier cessez-le-feu au Sahara occidental entre le Maroc et le
Front Polisario, en date du 6 septembre 1991, coïncide avec
l’évanouissement de la « guerre-froide ».
Depuis, on assiste à un chambardement dans le champ de recherche
stratégique, en ce qui concerne non seulement les
conséquences de cette affreuse guerre en Europe, mais aussi les
enjeux des conflits « locaux », dits à
« faible » et à « moyenne
intensité » (celui du Sahara occidental selon le
classement hypothétique des stratèges américains).
Une certaine catégorie d’essayistes est apparue partout, dans
cette période « post-guerre froide »
marquée par la prolifération des guerres civiles et de la
« famine de masse » en Afrique, en Asie, qui a
provoqué le déploiement de gros contingents militaires et
a mobilisé des organisations humanitaires sérieuses ou
moins sérieuses.
Le conflit du Sahara occidental a vu, lui aussi, apparaître de
nouveaux « experts » qui proposent de saisir les
tenants et les aboutissants de ce conflit de décolonisation.
Nous faisons allusion plus particulièrement à
« la bande des quatre » (Cf. A. O. Yara, Arso,
Opinions, 15 avril 2004 et 8 février 2006)
surgie de nulle part pour devenir, par la force des choses,
« les maîtres à penser » en
matière de stratégie militaire, de haute diplomatie
conventionnelle et dans les résolutions des conflits du
« sud ». Cette nouvelle école s’exprime de
temps à autre pour plaquer la révolution sahraouie et
réduire son expression patriotique et légitime à
un « non-lieu » révolutionnaire.
En filigrane, leurs insinuations s’appuient aussi sur les paroles de
quelques Sahraouis qui ont quitté les rangs, poussés par
l’amertume et l’opportunisme politique, ne représentant, ainsi
qu’eux-mêmes. Cette école, « qui n’en est pas
Une », se développe, après l’impuissance du
Maroc à venir à bout de la révolution sahraouie.
Ces experts nous font penser aux personnages décrits dans le
documentaire d’Agnès Varda résumé ainsi
« Un peu partout en France, le cinéaste a
rencontré des glaneurs et glaneuses,
récupérateurs, ramasseurs et trouvailleurs. Par
nécessité, hasard ou choix, ils sont en contact avec les
restes des autres. Leur univers est surprenant. On est loin des
glaneuses d'autrefois qui ramassaient les épis de blé
après la moisson. Patates, pommes et autres nourritures
jetées, objets sans maître et pendule sans
aiguilles ». Ce film à grand succès depuis
1999, peut s’appliquer, d’une manière métaphorique
à cette école d’experts et par extension à nos
deux auteurs qui font ici l’objet de notre critique, à savoir
l’humanitaire Olivier Pierre Louveaux et la journaliste Catherine
Graciet qui répand sa pensée brumeuse dans la nouvelle
presse marocaine.
A° Comment l’humanitaire juge une société « non encore autonome »
Olivier Pierre Louveaux, s’est livré à une
« description anthropologique » conceptualisant
la société politique et militaire sahraouie (Cf. « Le Sahara Occidental aujourd’hui »,
entretien de l’Institut Européen de Recherche sur la
Coopération Méditerranéenne et Euro-Arabe,
Bruxelles, novembre 2003).
La première de ses hypothèses est une sorte
« d'acquis théoriques en matière de
« minorités nationales » et la
deuxième tourne autour de son « expérience
vécue, en été 2003, dans les camps du Sud-Est
algérien ». L’auteur, qui reconnaît la
complexité du conflit et considère que son document
« n'est ni un soutien, ni une attaque contre l'un ou l’autre
parti » révèle une faille
épistémologique quand il investit certains concepts
largement critiqués par les sociologues.
1° Le concept d'Etat-Nation, dit-il, est particulièrement
« impropre » à la zone
méditerranéenne où depuis toujours ont
coexisté très étroitement
« différentes ethnies ». L’auteur oublie
que la sociologie historique constate le même obstacle dans le
cas de la formation des quelques »
états-nations » en Europe occidentale. Autrement dit,
le stade de l’Etat-nation n’est pas encore atteint même dans les
vieilles démocraties du temps moderne.
2° Pour lui, le « système » du Front
Polisario mis en place est « un système de
clientélisme » et de
« vassalisme ». L’auteur, là aussi, n’a
pas compris que ces approches n’ont pas pu expliquer et avancer une
meilleure compréhension des phénomènes politiques
et qu’elles sont utilisées parce que pédagogiquement
commodes et aptes à la généralisation. D’ailleurs
les chercheurs en sciences sociales, notamment anglo-saxons, suivent,
d’une manière assidue, le phénomène du
« clientélisme » qui fait partie
intégrante des structures politiques en Europe et partout
ailleurs. Il est donc réducteur de l’attribuer à la seule
société semi-nomade comme celle des Sahraouis.
3° Bien sûr, il faut « tenir compte des raisons
géopolitiques et militaires dans l’explication des conflits.
Mais, réduire la cause sahraouie à « un
clivage entre le Maroc et l'Algérie » ne peut pas se
traduire dans les termes utilisés par l’auteur, car ses concepts
valorisent logiquement le système d’équilibre au
bénéfice de la domination française et espagnole
sur le Maghreb et écartent la réalité d’un autre
système maghrébin qui fonctionne avec sa propre dynamique.
4° L’auteur dit que « le Maroc ne peut pas non plus se
permettre de libérer un territoire sous peine de voir d'autres
régions (Rif) demander éventuellement la même
faveur (que les Sahraouis). Il mettrait, par là, ajoute-t-il
« en péril l'intégrité de son
territoire et renoncerait à son rêve de
Grand-Maroc ». Rien ne peut cautionner ce postulat. Vu, la
faiblesse de sa théorisation, l’auteur ne peut établir un
rapport causal entre « la question du Rif »,
(nous disons la rupture insurrectionnelle de la République du
Rif) et la cause sahraouie menée par un mouvement de
libération pour une décolonisation intégrale,
suite aux normes du droit international.
5°. L’auteur explique l’arrêt des hostilités au Sahara
occidental ainsi : « Ce n'est, que suite à
l'affaiblissement de ses soutiens que le Front
Polisario, mouvement indépendantiste,
« socialiste radical » a été
« contraint d’envisager un cessez-le-feu ». Ce
postulat est dénué de toute vérité.
L’explication la plus plausible demeure la réponse positive du
Front Polisario à l’effort combiné de l’OUA et l’ONU,
depuis 1988, pour la cessation des hostilités en vue de
l’organisation d’un référendum d’autodétermination
du peuple sahraoui. Mais, le Maroc a saisi depuis, une occasion
propice, après l’achèvement de ses fortifications
miliaires, pour éloigner les Sahraouis du théâtre
de la guerre où ils excellent et pour les attirer sur le champ
de la diplomatie et des négociations. Pensant les Sahraouis plus
faibles sur ce terrain, le Maroc espère ainsi gagner du temps et
amener les Sahraouis à accepter l’occupation marocaine comme un
fait accompli. Mais, les événements militaires et
diplomatiques de l’après cessez-le-feu ont prouvé le
contraire.
Par ailleurs, le Maroc n’a pas respecté son engagement formel de
mener à terme le processus référendaire. Il a
même entravé l’outil d’application des résolutions
de l’ONU. Ainsi, en 1991, le quartier général de la
MINURSO situé à El Ayoun (territoire occupé),
s’est trouvé obligé de louer des véhicules sur
place afin de pouvoir se déplacer, en attendant que Basri
(l’intérieur) et Bennani (armée) autorisent
« ce dispositif de la paix » à acheminer
sa logistique, restée bloquée à Agadir, en vue
d’organiser le référendum que cette force d’interposition
devait mener à terme en janvier 1999 (fin des
responsabilités de la MINURSO).
L’auteur n’évoque pas non plus le scandale politique et moral
survenu aux Nations Unies, relaté par plusieurs auteurs et
notamment par la déclaration de John Bolton et Frank Ruddy qui
ont exposé, le 13 octobre 1995, les irrégularités
au sein de la MINURSO et dénoncé le comportement
marocain.
6° Si l’auteur pense que l'Algérie « a un
intérêt propre à voir le Sahara Occidental libre et
allié … », nous lui répondons que ces
éléments synthétisés sont justes, mais que
cette option est la seule, pour l’instant qui a amorcé un
« vrai Maghreb », comme pour le
« pacte du charbon et de l’acier »
européen. En effet, le Maghreb est déjà
amorcé depuis 1973, par les deux républiques,
algérienne et sahraouie, le seul « contact
inter-frontalier » qui fonctionne légalement dans la
région (circulation des personnes et des biens, avec une simple
carte d’identité).
Notre auteur n’a pas non plus saisi les vraies motivations de la
position de la France et de l’Espagne par rapport à la question
sahraouie. Nous lui faisons savoir que l’argument le plus
crédible est que les deux pays, (abstraction faite sur les
militants progressistes de leurs sociétés civiles
respectives), agissent encore dans l’affaire du Sahara occidental selon
les termes des trois « conventions coloniales »
conclues entre eux, en 1900, 1904 et 1912. Elles
« interdisent » en effet, à l’Espagne
signataire d’agir seule dans la décolonisation du Rio de Oro, et
rien ne peut desserrer l’étau autour des Sahraouis que
l’abolition de ces Conventions. Ainsi, la « marche
verte » ; la « division » du
territoire entre la RIM et le Maroc (tous dans la sphère
d’influence française) et puis l’annexion du Sahara occidental
par ce dernier (1979) ne sont qu’une application implicite des trois
conventions destinées, à l’époque et
peut-être même encore aujourd’hui, à neutraliser
l’Allemagne dans le Sahara Atlantique.
7° La crise de l’aide humanitaire constatée depuis plus
d’une dizaine d’années est causée par l’ingérence
de l’humanitaire dans les affaires des peuples secourus, par le
monopole des grosses usines ONG, et non pas causée par le
détournement réel ou supposé des personnes
sahraouies accusées.
8° Notre auteur avance des jugements de valeur sur le patrimoine
culturel sahraoui post-révolutionnaire. Il ne sait pas encore
que l’art et la musique sahraouis ont joué un rôle
fondamental, comme dans tout processus révolutionnaire. Pourquoi
l’auteur ne demande-t-il pas à la France de supprimer la
Marseillaise, hymne belliqueux pour certains, et en adopter un autre de
l’ancien régime ?
Ainsi, le texte personnel d’Olivier Pierre Louveaux, dont le diagnostic
reste en de ça de la réalité du peuple sahraoui
des réfugiés sahraouis dans les Campements de Tindouf,
véhicule, lui aussi la désinformation la plus flagrante
par rapport au sort de ce petit peuple, pas encore autonome. Il est le
support « conceptuel » d’une nouvelle
génération des journalistes qui traitent « la
question » sahraouie dans les journaux marocains.
Comment donc ces journaux marocains s’alimentent-ils de ces hypothèses ?
B° La presse marocaine et la dualité médiatique sur le Sahara occidental :
Pour comprendre l’induction des informations relatées par
Olivier Pierre Louveaux, il faut évoquer brièvement la
dualité médiatique sur le Sahara occidental dans la
nouvelle presse marocaine.
Comment qualifier l’intérêt porté par le
journalisme marocain sur « la question » du
Sahara occidental ? On trouvera chez eux, en effet, de nouveaux
signes de dérapage, toujours en faveur de la thèse du
Palais royal.
Ainsi, l’année dernière la presse officielle marocaine,
comme les autres années, a semé la confusion chez les
lecteurs, quand elle a amalgamé « la zone
tampon » décrite dans les accords de cessez-le-feu et
« la zone libérée sahraouie ». Ainsi, Le
« Matin.ma », écrit, le 13 mars 2006 que
ce point (Tfariti) « qui se trouve dans un no man’s land est
une zone démilitarisée rattachée à la
province de Smara qui constitue une ligne de démarcation du
cessez-le-feu, signé par le Front Polisario et le Maroc sous
l’égide de l’ONU le 6 septembre 1991 ». Or, la zone
dite démilitarisée, selon l’accord militaire n° 1,
n’a rien à voir avec un tiers des territoires
libérés, sur lesquels les activités de la
république sahraouie s’exercent de plein droit.
Mais, depuis la disparition « théorique »
des années de plomb au Maroc, une nouvelle presse marocaine
s’efforce d’expliquer à ceux, parmi les marocains qui veulent
comprendre, l’enjeu du Sahara marocain depuis « la marche
verte ».
En effet, avec courage, une poignée de journalistes marocains
(en l’absence de chercheurs et universitaires marocains) ont
recoupé les informations et ont mené des enquêtes
sur toutes les facettes de cette guerre de décolonisation,
(prisonniers de guerre, cartes géographiques des positionnements
des troupes marocaines et du Polisario, soulèvements dans les
territoires occupés sahraouis …).
Du coup, le Maroc vit à deux vitesses opposées : la
presse classique de l’Istiqlal, qui continue à nier la
réalité du conflit au Sahara occidental et cette presse
de l’avant-garde qui souhaite faire comprendre la réalité
telle qu’elle est et non telle qu’on la présente.
Mais, cette bonne volonté ne va pas de soi, car le makhzen peut
frapper cet esprit libre à tout moment, puisque « la
sacralité du roi » est encore de rigueur.
« Le Journal hebdomadaire » inaugure, à
ses risques et périls, ce nouvel esprit d’une presse libre.
Mais, pour survivre il doit faire quelques concessions au Makhzen.
C’est dans cet objectif qu’il a publié un certain nombre de
textes pour atténuer la colère du Palais et l’Isrtiqlal.
Une de ses dernières livraisons entre dans ce champ de manœuvre.
Ainsi, quand il s’agit de la question du Sahara occidental, les
vérités relatées par ce journal apparaissent comme
une avancée objective, quand on pense à la nature des
« dossiers » qu’elle traite, comme d’ailleurs, le
Journal Tel Quel, mais elle garde malgré tout une ligne de
conduite professionnelle et politique qui nuit considérablement
à la marche des Sahraouis pour leur liberté.
Le texte de Catherine Graciet (Inside du Polisario,
(Le Journal, Maroc, n° 293 du 10 au 16 mars 2007), part d’une
fausse information quand elle décide, parlant du 31e
anniversaire que : « la commémoration du XXXIe
anniversaire de la RASD, les 27-28 février 2007, Tifariti,
auquel n’ont assisté aucune délégation
étrangère ni invités de marque algériens
». Or, huit-cents invités en provenance de 22 pays de tous
les continents ont assisté à cette
célébration (1).
Le dérapage médiatique et politique de son texte par
rapport à la cause sahraouie est visible quant aux
éléments suivants.
Elle a repris, en détail les arguments de son
« maître » à penser, Olivier Pierre
Louveaux, même si elle n’a pas, par la force des choses,
théorisé ou « conceptualisé » la
société sahraouie, ni visité les campements des
réfugiés sahraouis dont elle parle. Ainsi, elle
présume, elle aussi, l’existence d’une « grave crise
politique qui mine le Polisario de l’intérieur (…) Les
revendications sont légions » et que « beaucoup
de Sahraouis ont désigné les coupables de leur malheur:
le Maroc bien sûr mais aussi la direction du Front Polisario et
notamment Mohamed Abdelaziz, accusé d’immobilisme ».
Son texte a réduit, lui aussi, la direction du Polisario et le
peuple sahraoui à une société qui va vers le chaos
dans les mêmes termes qu’Olivier Pierre Louveaux que nous ne
reproduisons pas une nouvelle fois.
Ainsi, et malgré le progrès réalisé dans la
presse marocaine en faveur de la liberté d’expression et de
l’information sur les dossiers tabous, il n’en demeure pas moins, que
cette nouvelle presse est en osmose avec le Maghzen dans l’affaire du
Sahara occidental.
En conclusion, nous pensons que la « réflexion
personnelle » d’Olivier Pierre Louveaux et le texte de
Catherine Graciet se complètent dans leurs énoncés
et dans leurs attitudes négatives par rapport
l’autodétermination des Sahraouies.
1° Les deux textes en question veulent réduire la
direction historique du Front Polisario au silence pour le dissocier du
peuple sahraoui. Or, la direction actuelle du Front Polisario et le
peuple sahraoui ne forment qu’un seul corps organique. C’est même
un précédent historique car cette république
« de volontaires » plaide pour sa
légitimé et son droit d’accès à la
modernité dans un état souverain : la RASD. La
direction du Front Polisario a mené une guerre patriotique
durant 16 ans. Elle a conduit, aussi simultanément les
difficiles négociations diplomatiques et politiques avec un
ennemi redoutable (Hassan II et maintenant avec son fils entouré
par des conseillers de France). La direction actuelle du mouvement
sahraoui a la charge politique d’asseoir les structures d’un Etat
nouveau, né dans la guerre (1973-1991) et de mobiliser toutes
les ressources disponibles pour que le citoyen sahraoui prenne
conscience de l'existence de ses droits. C’est elle et celle qui
viendra après, qui doit trancher dans les problèmes de
gestion de l’Etat et dans les abus des biens sociaux du peuple sahraoui.
2° Les écrits de ces deux auteurs, qui se distinguent par la
faiblesse théorique et par l’ambiguïté de leurs
analyses ne peuvent que servir l’ennemi. Car, ils constituent une
nouvelle arme pour casser la révolution sahraouie, utilisant le
même procédé que l’Espagne et le Maroc,
« diviser pour régner », pensant qu’une
« vietnamisation » du peuple sahraoui est
possible pour les éloigner de l’option de l’indépendance
totale. Ainsi, Olivier Pierre Louveaux et Catherine Graciet
suggèrent « d'autres options que
l'indépendance pour atteindre la liberté à
laquelle tend légitimement tout peuple (par exemple
« l'autonomie régionale »). Ce qui reste
un appui affiché au projet de la proposition marocaine que le
peuple sahraoui et sa direction légitime réfutent en bloc.
(1) La même information erronée est constatée dans
la « fiche technique du Sahara occidental »
publiée par l’Institut Européen de recherche sur la
Coopération Méditerranéen et Euro-Arabe qui
accompagne la réflexion personnelle de Louvreaux (Op. Cit.),
considère que la langue pratiquée au Sahara occidental
est l’arabe « marocain », et non la langue arabe
« Hassanya ».
Paris, le 25 mars 2007.