OPINION

 

Quand les mots perdent leur sens !

Par Baba Sayed

Les spécialistes en politique ont tendance à considérer, dans leur majorité écrasante, que la politique (ce qui se rapporte au pouvoir ) est l'art des mots. Qu'elle se confond avec la capacité de nommer les choses. C'est ce que nous illustre, par ailleurs, le Coran à travers la scène saisissante d'un dialogue entre Dieu et les anges :

30 - « [Rappelle aux hommes] lorsque Dieu dit aux anges : « Je vais instituer un vicaire sur terre. » Et ceux-ci de répartir : « Y places-tu quelqu'un qui y sèmera le désordre et y versera le sang, alors que par nos louanges, nous publions ta gloire et magnifions [par nos prières] ta sainteté ?- En vérité [rappela Dieu ], Je sais ce que vous ne savez pas .»

31 - Il enseigna à Adam tous les noms et présenta aux anges [tout ce ] ce qu'ils désignent, en leur demandant : « Dites-moi donc les noms des êtres et des choses que voici, si vous êtes véridiques.

32 - Gloire à toi, proclamèrent les anges, nous n'avons aucun savoir en dehors de ce que tu nous a toi-même enseigné, car, en vérité, tu es le Savant, le Sage par excellence !

33 - Adam, dit-il, fais-leur connaître leurs noms !l » Quand celui-ci les en eut instruits, Dieu leur demanda : « Ne vous avais-je pas dit que je connais le mystère du ciel et de la terre, de même que je n'ignore pas rien de ce que vous divulguez et de ce que vous cachez ? » ».

Définir avec exactitude les notions, nommer les choses, c'est-à-dire les singulariser, est, comme le laisse entendre Confucius, l'ABCD. de la politique, l'ultime sagesse dont doivent faire preuve les politiques .

En parcourant les comptes-rendus que certains médias ont fait du rapport final de l'Instance Équité et Justice (l'IER), rapport qui vient, faut-il le rappeler, sanctionner deux longues années d'investigation et d'auditions publiques, nous nous rendons compte à quel point les honorables membres de l'IER ont lamentablement failli à leur mission de nommer les choses, et, par conséquent, manqué de sagesse. Le rapport suscite plus de questions qu'il ne semble trouver de réponses

A la lecture des extraits du dit rapport de l'IER, quiconque peut se rendre compte à quel point les bruits assourdissants des moulins se sont avérés disproportionnés par rapport à la maigre moisson obtenue. Contre ce constat qui participe de l'évidence, les importants moyens de propagande mobilisés, ceux dont disposent le Makhzen (l'Agence Maghreb de Presse (MAP), Aujourd'hui le Maroc, Maroc-Hébdo, Le Matin du Sahara, Assahara Al-Maghrébia, RTM, 2M, …etc., ) comme ceux de la très obéissante opposition de « Sa Majesté », ne peuvent désormais rien. Les recommandations du rapport laissent clairement supposer que les membres de l'IER n'ont atteint, loin s'en faut, aucun des objectifs visés à travers leur démarche. S'il ne fait pas l'ombre d'un doute, à la lumière des concerts de critiques qui ont accueilli la fin des travaux de l'IER, qu'ils n'ont pas réussi à convaincre les victimes des années de plomb et leurs proches de la sincérité et du bien-fondé de leur démarche, ils n'ont pas non plus pu redorer le blason de la monarchie à travers ce qui a tout l'air d'avoir été à l'origine une opération de lifting de l'institution monarchique après les sérieux coups de vieux que lui a fait prendre le dernier roi Hassan II au cours de ses cinquante années de règne sans partage. Les timides « réformettes » proposées n'ont pas emporté l'adhésion de l'opinion marocaine et encore moins de la communauté internationale. Elles n'ont pas été suffisantes pour réconcilier le sinistre Maroc avec un passé qui a décidément du mal à passer. Les réformettes avancées par l'IER n'ont pas réussi à persuader d'honnêtes citoyennes et citoyens marocains que la structure et la manière de fonctionner de l'État criminel mis en place depuis des siècles par le Makhzen peuvent répondre aux exigences d'un État de droit. L'État criminel marocain qui a conçu et mis sur pieds les mouroirs de Tazmamart, Kal'at M'gouna, Derb Moulay Chrif et les dizaines de lieux de détention secrets aménagés à travers tout le Royaume pour « casser » tous ceux et celles qui ont osé résister à l'arbitraire du Makhzen, ne pourrait servir, tel qu'il est, de cadre institutionnel approprié à la promotion d'une quelconque dignité de l'Homme marocain, ou à la sauvegarde et à la préservation de ses droits et libertés.

A la lecture des extraits disponibles du rapport, nous pouvons conclure avec certitude que les efforts entrepris par les membres de l'IER dans le but, dit-on, de réconcilier les victimes des années de plomb et de leurs familles avec la monarchie se sont avérés vains comme l'ont été leurs tentatives consistant à ravaler la façade de la maison Makhzen et à refaire une virginité à ses criminels propriétaires. Essayer de faire passer une flagrante injustice pour un début de justice, des dénis manifestes de droit pour un effort sincère de réparation de torts, une impunité indéniables pour de l'humanisme ou de la générosité, une simple opération de manipulation de l'histoire et une tragique mutilation de la mémoire pour d'extraordinaire et uniques expériences de transparence dans le monde arabe et musulman, cela revient non seulement à mal nommer les choses, cela revient précisément à vouloir faire prendre au monde des vessies pour des lanternes, de la complaisance et de la lâcheté pour du courage et de la force de l'esprit !!

Faut-il enfin relever que la seule vérité que le rapport administre - et ce, dirions-nous, malgré la volonté des membres de l'IER de tout faire pour la dissimuler - et elle est, c'est vrai, de taille, est que la monarchie marocaine qui manque cruellement de légitimité, n'a d'autre moyen (sous l'ancien roi comme avec le nouveau) pour durer que la répression, l'oppression et la liquidation physique de ses opposants.

Jusqu'à quand les marocains, les puissances occidentales et les organisations des droits de l'homme continueront-elle à vouloir ignorer cette réalité tragique ?

20.12.05


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