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original en castellano
Traduction en français de Martine de Froberville
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Ce n'est pas un secret que le cynisme, tout comme la corruption, est la grande spécialité du makhzen. Le cynisme du makhzen constitue l'élément le plus flagrant des manipulations et des mensonges que le noyau dirigeant marocain utilise constamment envers ses sujets à l'intérieur, et envers d'autres Etats à l'extérieur. Le dernier produit fabriqué dans les usines du cynisme makhzénien est le « drame des prisonniers de guerre marocains en Algérie dans les prisons des mercenaires du Polisario ».
Pendant de nombreuses années, le makhzen a nié l'existence des prisonniers de guerre (l'un des mensonges habituels du sultan et de sa cour). Il était difficile de nier l'existence de ces prisonniers alors que n'importe quel visiteur dans la région de Tindouf pouvait les rencontrer. De plus, beaucoup d'entre eux, comme l'auteur de ce texte, ont ramassé d'innombrables lettres de prisonniers marocains qu'ils ont affranchies en Espagne à destination de leurs familles résidant au Maroc. Oui, il était difficile de nier que les prisonniers de guerre existaient, pourtant Hassan II le niait. Le mensonge devint encore plus évident, si l'on peut dire, lors de la signature du plan de paix en 1990, car le plan de paix admettait l'existence de ces prisonniers et prévoyait le moment de leur libération, immédiatement avant le referendum d'autodétermination prévu. Les raisons pour lesquelles Hassan niait l'existence de ces prisonniers étaient au nombre de deux. En premier lieu, cela supposait d'admettre qu'il y eut des défaites militaires marocaines face à l'armée sahraouie. Mais de plus, en second lieu, Hassan craignait que la reconnaissance de l'existence de prisonniers de guerre n'induise une reconnaissance implicite du Front Polisario et de la RASD. Ce dernier point était particulièrement important dans la mesure où Hassan niait que le Front Polisario eût une existence propre (selon la terminologie officielle, c'étaient des mercenaires, aucun d'entre eux n'étant sahraoui, mais, évidemment à la solde de l'Algérie) et avait comme objectif d'en finir à tout prix avec la RASD. La reconnaissance de prisonniers de guerre pouvait aboutir à la reconnaissance de celle-ci.
Dans les dernières années de sa vie, Hassan II changea d'opinion et Mohamed VI a poursuivi la politique de son père (sur ce dossier comme sur presque tous les autres). Ce changement d'avis a été provoqué par une initiative, à mon sens, imprudente et erronée de la RASD et du Front Polisario. Cette erreur a consisté dans l'autorisation donnée par la RASD et le Front Polisario au CICR (Comité international de la croix-rouge) de rendre visite aux prisonniers. En voyant que le Polisario acceptait quelques unes des prérogatives accordées au CICR par les conventions de Genève, sans que la RASD n'eût ratifié celles-ci, le Maroc eut en sa possession une arme qu'il n'imaginait même pas, tant fut grande l'ingénuité sahraouie. En effet, la décision du Polisario de laisser le CICR rendre visite aux prisonniers de guerre sans que la RASD n'eût ratifié les conventions de Genève supposait un changement à 180 ° du problème. En effet, la situation préalable faisait que les prisonniers de guerre ne jouissaient pas des droits inscrits dans les conventions de Genève tant que la RASD n'avait pas été reconnue comme Etat adhérent de celles-ci. Le prix à payer pour le Maroc était le désespoir des prisonniers de guerre et de leurs familles, un faible prix dans une tyrannie comme le régime marocain. Cependant dès le moment où le Front Polisario a accepté les inspections du CICR, les circonstances ont changé du tout au tout en faveur du Maroc. Les prisonniers de guerre en vinrent à jouir des droits reconnus dans les conventions de Genève puisque unilatéralement le Polisario les leur accordait, sans que la RASD ne fût reconnue comme Etat adhérent de ces conventions ! Pour le Maroc, c'était une aubaine.
Les récents événements trouvent leur raison d'être dans cette logique. Le lobby pro-marocain du parlement européen a obtenu que l'on remette un « passeport pour la liberté » au capitaine de l'armée marocaine, Mimuni Zeggai, prisonnier de guerre du Front Polisario depuis 27 ans. L'argument principal est que ces prisonniers de guerre se trouvent en captivité « en violation flagrante » de l'article 118 de la 3ème convention de Genève du 12 août 1949, relative au traitement dû aux prisonniers de guerre. En effet, cet article prescrit que « les prisonniers de guerre soient libérés et rapatriés, sans retard, dès la fin des hostilités actives ». Les hostilités actives, mais non pas la guerre, ont cessé en septembre 1991. Alors, apparemment, le Maroc aurait raison si ce n'est, à ce petit détail près, que le Maroc veut appliquer la convention de Genève à un Etat, la RASD, qui n'en est pas partie prenante puisqu'elle ne l'a pas ratifiée. Il ne conviendrait pas d'arguer que l'Algérie, elle, l'a ratifiée, car la guerre n'a pas eu lieu avec l'Algérie, et les prisonniers ne sont pas aux mains d'Alger (même s'ils sont sur territoire algérien, concédé provisoirement à la RASD).
Quel devrait être le dénouement de cette histoire ? À l'heure actuelle, les uniques obligations contractées internationalement par le Front Polisario s'agissant des prisonniers de guerre sont celles contenues dans le plan de paix. Si le Maroc ne veut pas qu'ait lieu le référendum d'autodétermination prévu par le plan de paix, c'est qu'il demeure partisan que les prisonniers de guerre restent en captivité. Tel était le pacte. Et si le Maroc ne respecte pas sa part, le Front Polisario n'a pas à respecter la sienne. Que le Front Polisario ou la RASD doivent libérer les prisonniers de guerre en vertu d'une autre obligation internationale est une autre question. Si la RASD ratifiait les conventions de Genève, le Maroc pourrait exiger automatiquement leur rapatriement. Le fait qu'il ait assumé unilatéralement quelques-unes des obligations dérivées de ces conventions ne l'oblige pas à toutes les assumer, tant qu'il n'aura pas ratifié ces traités.
D'ici là, demander à la RASD qu'elle respecte une convention qu'elle n'a pas signée est pur cynisme.