OPINION
Sahara occidental
Un plan de paix qui en cache un autre
par
Hafida Ameyar
Journaliste et auteur du livre : Sahara occidental. Que veut l'ONU.
Casbah Editions. Alger, 2001
Les autorités algériennes restent attachées à la voie légaliste, qui ne renoncerait ni au plan de règlement des Nations unies, ni aux accords de Houston de 1997.
Le Conseil de sécurité des Nations unies, réuni le 25 mars dernier, a donné suite à la demande du secrétaire général, Kofi Annan, dans sa résolution 1469. Il a ainsi décidé de prolonger de deux mois le mandat de la Mission de l'ONU pour un référendum au Sahara occidental (MINURSO), qui arrivait à échéance le 31 mars 2003. Dans une lettre datée du 19 mars et adressée, le lendemain, au Conseil de sécurité, Kofi Annan a indiqué qu'il présenterait son prochain rapport sur la situation au Sahara occidental, le 19 mai. Il a également rappelé que son envoyé personnel, James Baker, a soumis sa proposition, intitulée " Plan de paix pour l'autodétermination du peuple du Sahara occidental ", au Maroc, au Front Polisario, ainsi qu'aux deux pays observateurs officiels, l'Algérie et la Mauritanie, mais sans dévoiler le contenu de la " proposition de règlement politique " du conflit.
La nouvelle situation appelle certaines remarques :
1- Le secrétariat général des Nations unies a pris, ces dernières années, l'habitude de proposer la prorogation pour quelques mois du mandat de la MINURSO. On peut penser que l'ONU est pressée de se décharger d'un dossier pesant, qui traîne depuis près de quarante ans, incapable pourtant d'exiger l'option du plan de règlement. Ou à maintenir le statu quo, qui ne profite qu'à la partie marocaine, le temps que celle-ci ait le dernier mot.
2- La proposition de Baker, même si elle porte sur " l'autodétermination " du peuple sahraoui, veut se substituer au plan de règlement ONU/OUA de 1990/1991, sans encore échapper à ce dernier. C'est donc une alternative qui prétend prendre en compte le nouveau contexte régional et mondial, mais évite certaines clauses du plan de paix de 1991, en particulier celles relative au caractère colonial (et la genèse du conflit maroco-sahraoui) de la question sahraouie, à l'obligation faite à chacune des deux parties en conflit de libérer les prisonniers de guerre et à la protection de la population sahraouie dans les zones sous occupation marocaine.
2- Cela peut expliquer le malaise des autorités sahraouies, confrontées de plus en plus à de nombreuses pressions, même celles émanant des dirigeants algériens, aux tensions internes et frustrations nées d'une situation de " ni guerre ni paix " (statu quo), qui dure depuis l'entrée en vigueur du cessez-le-feu (septembre 1991) et au travail de sape entrepris par le Maroc -sans pouvoir briser le mur du silence qui entoure le combat du peuple sahraoui et sa résistance, dans les campements de réfugiés et les territoires sous occupation. Il n'empêche, le Polisario et les responsables de la République sahraouie (RASD) refusent de cautionner une démarche qui trahirait les espoirs des Sahraouis, toujours attachés à leur liberté et leur souveraineté nationale.
C'est, peut-être, dans ce cadre que s'inscrit la rencontre du 25 mars, entre M'hamed Khadad, coordinateur sahraoui de la MINURSO, et le secrétaire général des Nations unies. Au cours des entretiens, l'émissaire du président de la RASD a remis un message du président Mohamed Abdelaziz, insistant sur les efforts de l'ONU à trouver une solution juste et durable au conflit de décolonisation. Comme à Houston en 1997, lorsque le plan de paix connaissait un enlisement et des tentatives de remise en cause, M'hamed Khadad entre de nouveau en scène. Il remet un message similaire, afin de rappeler à Kofi Annan les engagements pris par son institution, le respect du droit du peuple sahraoui à choisir librement son destin et la répression qui continue à s'abattre contre les Sahraouis des zones occupées.
3- A la mi-mars, l'Algérie a transmis sa réponse à James Baker, mettant en avant sa fidélité au principe d'autodétermination du peuple du Sahara occidental et en s'appuyant sur la légalité internationale. La nouveauté dans la position algérienne, réside dans le fait que, depuis l'arrivée du président Abdelaziz Bouteflika, les dirigeants font preuve d'un " pragmatisme ", qualifié de " position tactique " ou de " position faible " par les uns, et de " trahison ", par les autres, pour faire avancer le dossier sahraoui et le clore définitivement. Un pragmatisme qui avait incité le Chef de l'Etat à puiser dans la position mauritanienne des années 1970, en suggérant au diplomate américain l'option du partage, afin d'échapper à l'accord-cadre, qui signifiait ni plus ni moins que l'intégration du territoire sahraoui au royaume chérifien.
Aujourd'hui, les autorités algériennes ne semblent plus opposées à un règlement politique de la question sahraouie, c'est-à-dire à une troisième voie, pourvu qu'elle ne renonce ni au plan de règlement, ni aux accords de Houston, en insistant sur le consentement des deux parties directement concernées.
Quelle pourrait être cette nouvelle voie qui ne serait ni l'indépendance du Sahara occidental ni son intégration au Maroc, mais qui ferait " la promotion de l'autodétermination " du peuple sahraoui ? S'agit-il du contrôle du territoire sahraoui par les forces onusiennes, pendant une période transitoire, relativement longue, qui permettrait de réunir les conditions de réussite de la décolonisation ? Apparemment, ce n'est pas le cas, puisque la proposition de Baker maintient, dit-on, la présence marocaine au Sahara occidental, en promettant l'organisation d'un référendum, au bout de quelques années. Est-il alors question d'une démarche dictée par les officiels américains et européens, qui s'appuie sur le couple algéro-marocain ? La réponse pourrait être affirmative, si l'on tient compte du souci des deux puissances de préserver leur influence dans le Maghreb. Seulement, qui des deux puissances, les Etats-Unis et l'Europe (et là, il faut comprendre la France), imposera sa vision ?
4- Dans l'hypothèse de la préservation de l'influence extérieure, il sera alors question, en dernier ressort, du choix du leader dans la région : le Maroc ou l'Algérie ? Ce qui voudra dire aussi qu'une bataille sérieuse sera engagée entre le camp des Etats-Unis et celui de la France, dont le résultat pèsera grandement sur le sort de l'Etat algérien et celui des Sahraouis.
5- C'est justement dans ce contexte qu'intervient le général major Khaled Nezzar. Dans les interviews qu'il a accordées à l'hebdomadaire marocain La Gazette du Maroc, puis au quotidien national La Nouvelle République, les 10 et 12 mars dernier, l'ancien ministre de la Défense a donné l'image de quelqu'un qui voulait forcer la main aux dirigeants, alors que ces derniers s'apprêtaient à envoyer leur commentaire sur les dernières propositions de l'envoyé spécial de l'ONU. A-t-il été manipulé ? A-t-il subi des pressions sur le sol français, au point de renier ses propres positions et celles de l'armée algérienne ? A-t-il obéi à la logique anti-Bouteflika, en s'empressant de prendre à son compte les " idées " du président de la République ? Si c'est le cas, l'interviewé a-t-il bien interprété les desseins de Bouteflika, s'en est-il servi pour enfoncer ce dernier avec ses " alliés " américains ou pour imposer la carte française ?
Dans tous les cas, les interférences du général en retraite dans les affaires d'Etat sont lourdes de sens, d'autant qu'elles ont apporté de l'ombre aux déclarations officielles sur le Sahara occidental, publiées les 10 et 12 mars 2003. L'ancien ministre de la Défense s'est également opposé à une certaine vision de l'Algérie, défendue par le défunt président Boumediene qui, même si elle comporte des aspects contestables, porte notamment sur le respect des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes et la construction d'un Etat développé, débarrassé de la tutelle des puissants de ce monde.
On retiendra de l'épisode Nezzar le débordement des querelles d'appareils sur la politique intérieure et la politique étrangère. C'est là une image peu reluisante du régime algérien, dont certains de ses hommes ont déjà porté atteinte à la crédibilité de l'Etat, mais qui risquent, à l'avenir, de contrarier davantage les intérêts nationaux stratégiques et ceux des Sahraouis, surtout dans ce contexte de mondialisation.
6- La guerre enclenchée par les forces anglo-américaines contre l'Irak ne sera pas sans conséquences sur le dossier sahraoui. Cette guerre a déjà imposé ses priorités. Elle a réveillé le sentiment nationaliste et laisse entrevoir un interventionnisme militaire, avec son lot de morts, de blessés, d'humiliations, de frustrations, de famine et d'intolérances. Cette guerre a également mis à nu les Nations unies, devenue impuissantes, parce que otages des appétits et des querelles entre les membres influents du Conseil de sécurité, depuis la chute du bloc de l'Est et l'émiettement du mouvement des pays Non Alignés. Alors, faut-il espérer que l'ONU mènera à terme le processus de décolonisation au Sahara occidental ? Pour le moment, les membres du Conseil de sécurité sont divisés, sur le traitement du conflit irakien. Ce qui revient à dire que le scénario du statu quo risque de perdurer encore. A moins que la guerre se propage jusqu'au Maghreb et imposera ses propres lois,
Hafida Ameyar, 30 mars 2003.