La culture et la révolution sociale sahraouie
Salah Khatri
La culture étant le résultat d’un processus de socialisation des corps et des esprits. Il est le moule, différent selon les sociétés, à partir duquel se fabriquaient les individus qui appartenaient ainsi au groupe plus qu'à eux-mêmes et par lequel les sociétés se reproduisaient à l'identique. La réflexion savante sur la culture a été marquèe par une coupure très forte avec le passè et le patrimoine social.
Il y avait une vision de la culture pour essayer de dégager le
spécifique de chacune, et une vision sociale particulière
qui s’exprimait dans les manières d'être et de faire les
plus ordinaires et le type de personnalité sociale propre à la
révolution, c’est ainsi, par exemple, que le f.polisario croyait
pouvoir distinguer chez le peuple sahraoui un sens qui encouragerait
chez les individus l'agressivité révolutionnaire et
l'action sociale. D'autre part, il y avait aussi une ignorance de
loisirs de notre société étant
considérée comme désirable et le moins souhaitable
comme pratique à la consommation de bien culturel. La double
logique des actions réside dans la conviction qu'il est
nécessaire d'articuler théorie et pratique et de ne pas
prendre prétexte de l'action sociale pour renoncer à
l'exigence de l'action révolutionnaire. Il s’agissait de
fabriquer une culture posée comme indiscutablement positive, il
supposait donc un travail d'inculcation et même de forçage
d'une certaine élévation de l'esprit, dans le contexte
de la lutte et de la résistance. Pour conduisait l'individu vers
des expériences chaque fois différentes. Une forme de
l'engagement dans un temps de la guerre, une dimension exemplaire,
finit par se limiter dans la mémoire collective au seul souvenir
édifiant de l'événement festif.
L'utopie de la révolution sociale servait de transformer la
culture en un levier de libération permettant la
société de basculer vers le rêve d'un lendemain
meilleur. Les conditions étaient certes un peu spéciales
et dures, mais on a été très formatrices. L'homme
admire ce qu’on lui a appris à admirable.
Il n’y ait en vérité pas de solution de
continuité, que ces deux moments clés de l’histoire
nationale, l’occupation, la guerre, aient demandé identiquement
à ce que soit repensé le concept d’engagement, faisant
ainsi apparaître que la lutte pour l’indépendance et la
révolution sociale doivent être perçus comme deux
aspects d’un même engagement, dont l’orientation, l’enjeu et la
vérité apparaissent parfois contradictoires. Voilà
très précisément ce qu'indique l'expérience
de notre société et qui concerne très directement
notre propre présent.
Contrairement à ce que voudrait nous faire croire les
modernistes, nous ne sommes en effet nullement sortis de l'histoire et
c'est seulement à la condition de penser que la lutte dans sa
continuité que peut être sauvegardée sa
capacité à faire sens aujourd'hui. C'est un lutte
armée, mais une fois les armes déposées, demande
à se poursuivre au sein même de une société
en apparence pacifiées afin que n'y triomphent pas d'autres
types de esclavage plus insidieux. Cette configuration
très tranchée qui semblait évidente et
indiscutable va subir quelques altérations à la fin
années 1980, avec l'événement d'octobre 1988.
18 ans ont passé après octobre 1988, et 15 ans ont
séparé la création de f.polisario et
l'événement d'octobre 1988 qui est reçue comme le
signe d'un désaveu, d'un dégagement. Elle manifeste en
vérité la conviction de la configuration nouvelle
de notre société moderne.
Après octobre 1988 l'individu ne sait plus où il habite.
Il est perdu. Et notre société manque terriblement de
repères, mais ce n'est pas en cherchant des repères dans
le passé que nous pourrons y remédier. Et la
société dans laquelle nous vivons aujourd'hui n'est
certainement plus celle où nous avions pensée et agisse,
les évolutions paraîtront rapides et
nécessitions des réponses appropriées aux
phénomènes nouvelles et à la crise
économique et social, mais aussi le développement de la
société.
La société à qui nous appartenons se caractérise de
plus en plus, mais, elle manque de liant, elle fonctionne très
mal et les structures sont en train de devenir creuses et donc de se
fragiliser. Des structures qui ne sont plus vécues, humainement
alimentées. Et notre grand danger, à l'heure actuelle, c'est
bien celui de nous couper de plus en plus de toute possibilité
d'un mouvement culturel valable, c'est de négliger, de trahir,
cette fonction de médiation en quoi réside sans doute la
seule chance de justification de notre privilège
d'hériter une culture orale. On peut reprendre à son
compte ce que l'on hérite et lui donner un sens nouveau,
à partir de préoccupations différentes et dans un
contexte différent. Selon le sens, recevoir peut consister
à tirer parti de ce que l'on reçoit pour exercer une
action pratique sur la réalité présente du notre
société. Car il y a bien, là deux manières
de succéder : être l'héritier de quelqu'un ce n'est
pas nécessairement se comporter littéralement comme lui,
se laisser habiter, hanter par lui. D'où l'on peut tirer
que la notion d'héritage concerne l'homme en tant que tel, dans
l'exacte mesure où elle implique une idée de
transposition, de traduction, d'adaptation. Et il ne saurait y avoir de
traduction qui ne soit en quelque manière trahison : toute
remise en jeu, toute remise en œuvre des valeurs reçues
s'accompagne nécessairement de leur remise en question,
c'est-à-dire du refus de les considérer comme
sacrées sous les formes mêmes et dans les termes où
elles ont été transmises. Dans cette aptitude à la
trahison, que nous revendiquons en tant qu'hommes, elle s'efforce de
montrer qu'il n'y aurait qu'un leurre. Selon ce courant de
pensée, peu importe que nous trahissions car de toute
manière nous ne sommes pour rien dans nos trahisons mêmes
: celles-ci ne dépendent pas de nous en tant que sujets
conscients- non plus que notre langage, autrement dit, selon ce courant
de pensée, aucune pensée ne saurait avoir de sens pour
personne. Si l'unique sens valable se situe tout entier au niveau du
système « structural », et si je ne puis rien dire
de ce système qui n'en soit la pure et simple émanation,
alors ma notion même du système s'abolit en lui, et ma
propre parole s'annule à mesure que je la prononce. S'il existe
pour nous du système, ce ne peut être que sous des formes
relatives, c'est-à-dire dans la mesure où nous demeurons
capables de leur donner sens en prenant appui sur eux, en nous
efforçant de dépasser le conditionnement qu'ils
constituent pour nous. Il est bien vrai que nous sommes faits avant
d'avoir pu entreprendre de nous faire : mais il nous reste à
nous faire à partir de ce qu'on a fait de nous. Il est vrai que
nous ne faisons pas souvent ce que nous voulons et que nous faisons
trop souvent ce que nous n'avons pas voulu ; mais c'est
précisément de cette situation originelle qu'il importe
que nous prenions conscience, afin de nous rendre de plus en plus
capable de la dépasser. Nous subissons des conditionnements mais
ils ne se transforment en déterminisme que lorsque nous nous
prétendons les ignorer ou lorsque nous nous résignons
à les subir indéfiniment. Mais il ne s'agit là que
d'une des deux dimensions du problème, à laquelle il ne
saurait être question de sacrifier l'autre : c'est-à-dire
l'exigence de communique de plus en plus réellement avec la
totalité de peuple, et tout particulièrement avec ceux
d'entre eux que les structures de notre société tendent
à maintenir dans une situation d'exclus. en
réalité, nous sommes d'autant moins exigeants que nous
sommes davantage impatients, nous contentant trop facilement de fausses
solutions, quitte à en changer le lendemain mais en puisant
toujours dans le même arsenal périmé. Il faut bien
renoncer pour explorer la voie nouvelle sur laquelle on a la certitude
de devoir s'engager, dès lors que nous refusions de se laisser
enfermer dans quelque conditionnement, privilège ou croyance que
ce soit. Dans quel contexte peut-on vraiment agir ? Il importe en
tout cas savoir qu'on ne peut pas compter sur la société
telle quelle est aujourd'hui pour nous dire ce que nous devons faire.
C'est plutôt l'inverse, c'est à nous d'expliciter ce
qu'une société devrait être pour fonctionner
vraiment. Je pense qu'il vaudrait mieux que l'on fasse un peu
référence à la culture qu'on a eu la chance
d'acquérir. La culture est un patrimoine précieux qui
méritait d'être transmis.
La culture participe de procès d'humanisation. Elle n'est pas
à elle-même sa propre fin mais tire sa justification
exclusive de servir la vie, de lui donner un sens. Pour cette raison,
que le rôle du ministère de culture doit être
avant tout de repérer tout ce qui se fait à la base, de
l'encourager, de lui donner les moyens de s'étendre, mais
l'état ne peut pas par lui-même pratiquer l'action
culturelle, c'est à nous de jouer, là où nous sommes, il
est nécessaire d'aider les gens à repérer ce
qu'ils peuvent là où ils le peuvent. Il s'agit de
l'effort des hommes pour donner sens à ce qu'ils font, dans
quelque circonstance que ce soit. Car il existe dans ce pays,
d'immenses besoins d'ordre culturel, que nous commençons
à peine à entrevoir parce qu'il est dans leur nature
même de demeurer plus ou moins latents, de ne s'exprimer
spontanément que dans des cas plutôt exceptionnels. Il
s'agit ici de fournir à une population différents moyens
de se rencontrer, de prendre conscience d'elle-même, de se
concevoir dans sa complexité, de se confronter à
elle-même, de s'appuyer sur l'ensemble de ses dimensions pour
progresser au niveau de chacune d'elle. En essayant de donner sens
à l'action que l'on mène, une action qui ne peut
guère que collectivement.
Salah Khatri
Alicante le 20/12/2006
skhatri@wanadoo.fr