La légalité des contrats de prospection des ressources naturelles du Sahara Occidental : les limites du droit international

Afifa Karmous
coordinatrice droits de l'Homme
Fondation France Libertés

Les ressources naturelles du Sahara Occidental ont toujours été un des enjeux évidents du conflit, tout comme la position géostratégique du territoire. Les données officielles concernant les richesses naturelles du territoire, grand comme la moitié de la France, sont partielles en raison de la situation politique qui perdure.
On sait que la découverte des phosphates à Bou Craa en 1947 a donné à ce qui était alors le Sahara espagnol une importante dimension économique.
Par ailleurs, la façade atlantique figure parmi l'une des plus poissonneuses du monde, et 90% de la pêche hauturière du Maroc y est réalisée. L'Union Européenne par le bais de son accord d'association avec le royaume, particulièrement les accords de pêche a profité d'un accès à cette zone sans s'inquiéter du statut du territoire dont une partie de ces eaux relèvent, jusqu'à ce que ceux-ci soient suspendus par le Maroc.
Interrogé en 1999, sur la question de la délimitation des eaux territoriales du Maroc et de sa zone économique exclusive, le commissaire chargé du dossier de la pêche répondait qu'il s'agissait des eaux relevant de la souveraineté du Royaume conformément « au droit international, et non pas à des facteurs politiques »
1 .
Monsieur Fischler pouvait répondre qu'il n'était pas de la compétence de la Commission de définir les eaux au large du Sahara Occidental, et se retrancher bien qu'il n'y fasse pas mention derrière le décret marocain fourni aux Nations Unies définissant ses eaux territoriales telles qu'elles étaient avant 1975
2, et ignorer les informations officielles émanant du Royaume concernant les activités des ports de Dakhla et de Laayoune.
Concernant les réserves en pétrole que le territoire recèlerait, les contrats de prospection pétrolifère dans les eaux territoriales du Sahara Occidental signés au mois d'octobre dernier entre le Maroc et les compagnies américaine Keer Mac Gee d'une part, et française Total Fina Elf d'autre part, ont apporté un éclairage intéressant.
Pour la première fois des compagnies pétrolières étrangères, et pas des moindres, vont entreprendre officiellement des prospections au Sahara Occidental. L'entreprise française qui parraine le Dakar n'en ignore pas le statut international de territoire non autonome, alors que les organisateurs du rallye sont pratiquement chaque année confrontés au problème de sa traversée.

Qu'est-il arrivé pour que le pouvoir économique endosse ainsi un état de faits, celui de l'occupation par le Maroc de ce territoire ?
Certes le roi Mohamed VI avait déclaré en automne dernier dans un entretien à un quotidien français qu'il avait réglé « la question du Sahara »
3; et le Président français lors de sa dernière visite à Rabat avait repris la terminologie marocaine pour qualifier le Sahara Occidental de « provinces du sud du Maroc ». Pour autant, s'il apparaissait de façon explicite que le Conseil de sécurité s'éloignait des principes de sa Charte, des résolutions de l'Assemblée générale, et du Plan de règlement pour une solution « d'échange », le problème loin de se résoudre se compliquait. C'est le sens du dernier rapport du Secrétaire général sur le Sahara Occidental du 19 février dernier.
Dans ce contexte, l'
avis du bureau juridique du Conseil de sécurité saisi sur la légalité des contrats susmentionnés du 29 janvier dernier a rappelé opportunément le statut de territoire non autonome du Sahara Occidental. Pour autant, la décision ne tire pas les conséquences de ses considérants, estimant ne pas disposer en l'espèce de fondements juridiques pour statuer sur la forme.

I. Le statut international de territoire non autonome du Sahara Occidental rappelé par l'avis…

Le Sahara Occidental est depuis 1963 inscrit sur la liste onusienne des territoires non autonomes. Chaque année la IVème commission de la décolonisation de l'Assemblée générale en examine la situation. Conformément au droit international, le statut de territoire non autonome ne cesse que par l'exercice du droit à l'autodétermination 4.
Les Nations Unies, particulièrement l'Assemblée générale ont développé des règles régissant notamment la sauvegarde des ressources naturelles d'un territoire non autonome que l'avis rappelle pour partie.

A. Le principe de la sauvegarde de la propriété de la population du territoire non autonome 5

Les Etats ont l'obligation de respecter la propriété des peuples non autonomes. Selon une jurisprudence constante, l'Assemblée Générale des Nations Unies considère que l'exploitation préjudiciable, et le pillage des ressources marines et autres ressources naturelles des territoires non autonomes, compromettent l'intégrité et la prospérité de ces territoires.

a/ Les règles relatives à l'exploitation des ressources naturelles…

b/ …n'interdisent pas la prospection qui n'a pas d'incidence sur les intérêts de la population

Ce point 3 est souligné par l'avis pour rappelé que l'exploitation en elle-même n'est pas illégale. En effet, l'article 73 de la Charte stipule que la puissance administrante a l'obligation d'assurer le développement politique et socio-économique des habitants du territoire non autonome. L'avis conclut a contrario que si l'exploitation n'est pas illégale dans son principe, le critère étant la prise en compte de l'intérêt de la population, la prospection qui n'engrange pas de bénéfices ne peut pas être frappée de nullité.
L'avis se positionne donc sur la validité matérielle des contrats incriminés plutôt que sur leur forme.
Or, la question visait également la validité d'un contrat où le Maroc engage les ressources naturelles du Sahara Occidental.

B. Oblige l'ensemble de la communauté internationale

a/ les Etats tiers

L'avis mentionne la pratique des Etats tiers. Il faut préciser que les gouvernements doivent prendre toutes les mesures nécessaires afin d'assurer la souveraineté permanente des peuples de ces territoires non autonomes sur leurs ressources naturelles.
L'Etat a l'obligation de sanctionner ses ressortissants et les personnes morales de sa nationalité qui agissent en contradiction des intérêts des peuples non autonomes
9.

Cette précision est d'autant plus importante, que les autorités françaises interrogées par le Front Polisario sur le contrat signé par Total fina Elf, ont répondu que le capital de la société étant en partie public ils n'étaient pas compétents. Les autorités américaines ont fait la même réponse arguant du statut privé de Kerr Mac Gee.
Or l'obligation internationale énoncée dès 1970, et rappelée chaque année par la IVème Commission, ne distingue pas selon la nature privée ou publique de la personne morale contractante. C'est le critère de la nationalité qui est opérant pour déterminer la juridiction compétente. Aussi bien les autorités françaises qu'américaines ne peuvent décliner leurs responsabilités sur les agissements des sociétés concernées si ceux-ci devaient contrevenir aux règles précitées.

b/ La puissance administrante de droit : l'Espagne

La puissance administrante particulièrement doit, par des mesures efficaces, protéger et garantir le droit inaliénable des peuples des territoires non autonomes sur leurs ressources naturelles, ainsi que leur droit d'établir et de conserver leur autorité sur l'exploitation ultérieure de ces ressources.

L'avis rappelle que l'Espagne est la puissance administrante de droit, bien qu'elle ait signifié en février 1976 au Secrétaire général qu'elle avait mis fin à sa présence dans le territoire, c'est-à-dire qu'elle considérait qu'elle était dégagée de toute responsabilité de caractère international dans l'administration du territoire.
En effet, seul un référendum d'autodétermination de la population du territoire non autonome met fin au mandat de la puissance administrante.
Aussi, l'Espagne ne pouvait unilatéralement par les accords de Madrid de 1975 transférer au Maroc et à la Mauritanie ni son statut de puissance administrante, ni une quelconque souveraineté sur le territoire aux pays concernés. La Mauritanie s'est retirée en 1979, et le Maroc exerce pratiquement sur l'ensemble du territoire une autorité administrative, c'est-à-dire de fait.

II. …n'est que partiellement opérant

La seule opposabilité des règles matérielles n'est pas suffisante lorsque le principal destinataire, la puissance administrante de droit est défaillante et que la puissance administrative qui s'est substituée à elle n'a pas été qualifiée juridiquement. C'est ce qui ressort de l'avis selon nous.

A. Quand l'autorité administrante est défaillante de fait ou de droit

L'autorité administrante a un titre à agir pour le compte et dans l'intérêt de la population du territoire non autonome. Son mandat l'oblige à informer régulièrement le Secrétaire général de la situation jusqu'à l'exercice de l'autodétermination de ladite population 10 .
Or lorsqu'elle n'a plus de titre à agir comme ce fut le cas pour l'Afrique du Sud en Namibie, ou qu'elle n'en a jamais eu comme c'est le cas du Maroc au Sahara Occidental, la question de la légalité des actes porte avant tout sur la forme.

a/ L'Afrique du Sud déchue de son mandat en Namibie

L'avis rappelle le cas d'espèce de la Namibie car c'est la seule fois où des actes concernant les ressources naturelles d'un territoire non autonome ont été invalidés sur la forme.
En effet, en 1974 le Conseil des Nations Unies pour la Namibie
11 a déclaré illégaux des contrats d'exploitation de l'uranium signés entre l'Afrique du Sud et des entreprises occidentales dans le décret n°1 pour la protection des ressources naturelles de la Namibie. L'Assemblée générale les condamna par la suite, mais l'avis l'interprète à la lumière des résolutions du Conseil de sécurité particulièrement la résolution 276 de 1970 qui avait déclaré que la présence sud africaine dans le territoire namibien était illégale, et que tous les actes pris par le gouvernement sud africain seraient en conséquence invalides.

Concernant le Sahara Occidental, les organes des Nations Unies n'ont pas été de concert. L'avis rappelle que le dossier fait l'objet d'un double traitement, l'un par l'Assemblée générale comme une question de décolonisation, l'autre par le Conseil de sécurité comme une question de paix et sécurité.
Il faut rappeler à ce stade que tous les organes des Nations Unies, y compris le Conseil de sécurité, ont l'obligation de prendre les mesures à même d'assurer la conservation des droits de propriété des peuples des territoires non autonomes. Or, l'avis signifie le vide juridique concernant la qualification par le Conseil de sécurité de la présence marocaine au Sahara Occidental, qu'il interprète comme une incompétence à statuer sur la forme.
C'est pourquoi, les éléments essentiels qui concourent à ne reconnaître au Maroc aucun titre à agir au Sahara Occidental sont inopérants pour conclure à une nullité de forme des actes.

b/ Le Maroc autorité administrative de fait

L'avis est donc sur ce point ambigu. En effet, s'il réaffirme que le Maroc n'exerce aucune souveraineté de droit sur le Sahara Occidental, pas plus qu'il n'en est la puissance administrante, il lui impute les règles susmentionnées. En considérant qu'il n'est pas fondé d'un point de vue légal ou jurisprudentiel pour qualifier positivement le Maroc, l'avis nous interroge sur le titre à agir de cet Etat en lieu et place de la population du Sahara Occidental.

1. En tant que membre de la Communauté internationale ?

On peut considérer que ces règles qui s'imposent à l'ensemble de la Communauté internationale, valent aussi pour le Maroc quelque soit son degré d'implication dans le territoire.

2. En tant que puissance administrative ?

C'est-à-dire une autorité de fait, une formule utilisée par Kofi Annan dans ses rapports, et reprise par l'avis.

La difficulté est que n'ayant pas un statut de jure, le Maroc n'est pas contrôlé dans sa gestion du territoire et de ses ressources naturelles, puisqu'il n'en rend pas compte au titre l'article 73 alinéa e.
Aussi, comment évaluer a posteriori si ces ressources sont exploitées en conformité avec les vœux de la population, en dehors du mécanisme de contrôle inhérent au statut de puissance administrante ?

B. Quant à la prise en compte des intérêts de la population

Par ailleurs, le contexte politique et humain actuel du Sahara Occidental ne nous semble pas être un élément permettant au peuple Sahraoui d'exprimer sa volonté sur l'exploitation de ses ressources naturelles.

a/ Dans le contexte d'une occupation

1. L'exemple du Timor Oriental a contrario

L'avis cite le seul exemple où la population a été associée à la gestion de ses ressources naturelles. Il s'agit du Timor Oriental dans sa dernière phase avant sa pleine indépendance sous administration des Nations Unies 12.
Or il faut rappeler que ni le Portugal en tant que puissance administrante, ni l'Indonésie en tant que puissance occupante, n'ont jamais considéré l'intérêt de la population du Timor Oriental comme une obligation internationale déterminant la gestion du territoire.

2. L'occupation militaire du Sahara Occidental

L'Espagne ne s'est pas plus souciée du bien être de la population du Sahara Occidental. Les bénéfices des mines de phosphates ont simplement créé dans la population sahraouie une autre classe, celle du prolétariat.
Après la conclusion des accords de Madrid l'armée marocaine s'installe officiellement dans le territoire.
Il n'y a pas eu pourtant, de résolutions des Nations Unies pour condamner la violation caractérisée aux principes de sa Charte, ni au droit international.
Dans un tel contexte, la population sahraouie ne saurait aujourd'hui encore s'exprimer librement. Pour autant, le territoire est secoué régulièrement par des manifestations aux revendications socio-économiques qui sont durement réprimées. Cela n'est certes pas le signe que la volonté des Sahraouis ait été jusque-là entendue.

b/ Dans le contexte de la géographie humaine du Sahara Occidental

Le peuple du Sahara Occidental est aujourd'hui minoritaire sur son territoire, il représenterait 30% de l'ensemble de la population, alors qu'entre 150000 et 180000 personnes sont réfugiées à Tindouf en Algérie.
C'est pourquoi, si l'exploitation devait un jour être appréciée au regard « des intérêts et de la volonté du peuple du Sahara Occidental », selon les termes de l'avis, cette donnée démographique sera à bien considérer selon nous.

Le Conseil de sécurité ne s'est pas prononcé sur les implications de l'avis juridique. Un délégué d'un Etat membre a déclaré que « bien que le Conseil n'ait pas pris de décision, nous avons levé le drapeau rouge au Maroc » 13.
Au terme de tant d'années pour une résolution du conflit, cela est pour le moins un bien petit geste. D'autant plus que si l'on veut bien voir au-delà de l'ambiguïté de l'avis, le constat qu'en dehors d'un positionnement clair du Conseil de sécurité, le droit international et son universalisme est renvoyé à une époque où ce droit dit classique consistait en des relations inter-étatiques fondées sur la réciprocité.
L'avis illustre donc la dichotomie des Nations Unies entre l'Assemblée générale et le droit international d'une part, et le Conseil de sécurité et les impérieuses contingences de la real politik d'autre part. Il rappelle le déclin du poids de l'Assemblée générale qui fût essentielle dans le mouvement du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes à partir des années 60.

07 mars 2002


1 Colloque des juristes sur le Sahara Occidental, éditions l'Harmattan.

2 Dahirs d'application des loi n° 1.73.211 du 2 mars 1973, et n° 1.81.179 du 8 avril 1981.

3 Entretien paru dans le Figaro du 3 septembre 2001.

4 Résolutions 1514 et 1541 adoptées en décembre 1960.

5 Article 73 de la Charte des Nations Unies.

6 La résolution 2625 du 24 octobre 1970 portant Déclaration sur les relations amicales entre les Etats.

7 La résolution d'octobre 1999 relative aux activités économiques et autres préjudiciables aux intérêts des peuples des territoires non autonomes.

8 La résolution du 10 décembre 1997 relative aux activités économiques et autres préjudiciables aux intérêts des peuples des territoires non autonomes.

9 Résolution 2621 adoptée le 12 octobre 1970.

10 Article 73 alinéa e/.

11 L'organe créé par la résolution 2248 en 1967 est chargé d'administrer le territoire, alors que la résolution 2145 adoptée l'année précédente déchoit l'Afrique du Sud de son mandat de puissance administrante.

12 Administration Transitoire des Nations Unies au Timor Oriental.

13 ARSO actualités hebdomadaires semaine 08.


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