[Appel à tous les Nationalistes Sahraoui(e)s - Llamamento a todos los patriotas Saharaui - Appeal to all Saharawi Nationalists]

 OPINION- COMMENTAIRE

 A propos de l'appel des nationalistes sahraoui(e)s

Frustration, inquiétudes ou manipulations ?

Hafida Ameyar, Journaliste

Je n'ai pas été très surprise, par l'appel provenant de " nationalistes sahraoui(e)s ", parce que comme celui-ci le signale " la situation est dramatique " pour les citoyens sahraouis. Et " le statu quo ", qui dure depuis plus de dix années, ainsi que le jeu pernicieux interprété d'abord par l'ancienne puissance administrante, l'Espagne, puis par des personnalités et des Etats, membres des organes décisionnels de l'organisation des Nations unies, ont surtout profité à l'agresseur marocain. Ils ont de quoi provoquer mille et une interrogations, et de la méfiance, chez les victimes, celles-là même qui sont privées de leur droit à l'autodétermination et à l'indépendance, nettement stipulé par la déclaration du 14 décembre 1960 des Nations unies.

Ces quatre ou cinq dernières années, lors de mes déplacements dans les campements de réfugiés sahraouis de Tindouf ( dans le sud algérien) et dans les territoires libérés de la RASD (République Arabe Sahraouie et Démocratique), il m'est souvent arrivé de discuter avec des militants du Front Polisario et de citoyens sahraouis, sur leurs conditions de vie très difficiles (en réalité, je voyais tout cela de mes propres yeux) et l'évolution du dossier du Sahara occidental.

Mes interlocuteurs, femmes et hommes, m'ont confié leurs grandes frustrations devant la recherche de solutions " politiques " qui risqueraient, selon eux, de piétiner sur leurs droits nationaux. Ils m'ont avoué leur manque de confiance vis-à-vis de l'ONU qui, répétaient-ils, n'a pas respecté ses engagements, pour ce qui est de mener à bien et rapidement la décolonisation de leur territoire. Certains d'entre eux m'ont clairement affirmé leur opposition aux différentes propositions avancées par les secrétaires généraux de l'ONU, y compris le fameux " plan Baker II ", croyant dur comme fer que l'organisation onusienne est incapable d'appliquer ses résolutions et de faire face fermement à un Maroc toujours plus intransigeant et plus tyrannique dans un territoire qu'il a violé par la force.

Il y a quelques mois, des Sahraouis, parmi eux des cadres du Polisario, m'ont fait part de leurs reproches vis-à-vis de certains membres de leur direction nationale. Ils estimaient que ces derniers, en acceptant l'idée de nouveaux plans, autres que le plan de règlement de 1990/1991, maintenaient le cap sur " la démarche tactique ", alors que les autorités marocaines étaient revenues à leur stratégie initiale : celle de renier l'autre partie du conflit (le Front Polisario) et les engagements pris devant la communauté internationale, quant à l'organisation d'un référendum d'autodétermination. Selon eux, le Polisario avait toutes les raisons et tout le droit avec lui, pour reprendre la lutte armée et libérer le territoire du Sahara occidental ou/et renverser l'actuel rapport de forces, aux fins de briser le mur de l'illégalité internationale. Ces mêmes Sahraouis m'ont néanmoins prévenue de certaines contraintes, en m'expliquant que les décisions de la direction nationale du Polisario avaient l'aval de la majorité des participants aux congrès.

Il est clair que la démission récente de James Baker de son poste d'envoyé personnel du secrétaire général de l'ONU -déjà pressentie par des analystes-, a déçu beaucoup de Sahraouis. Elle a peut-être fait péter les plombs à certains, surtout qu'elle intervient dans un contexte de crise alimentaire relative et de campagne médiatique de dénigrement, orchestrée par les Marocains, contre le Polisario et ses dirigeants. A la veille de la dernière réunion de l'Union africaine, la diplomatie marocaine a lancé une grande offensive, en particulier vers les pays d'Afrique. L'objectif était triple. Tenter d'exploiter les événements du 11 septembre au profit du Maroc, en faisant croire que le Polisario est un mouvement terroriste, lié à l'organisation Al Qaïda et que, par conséquent, des Sahraouis seraient impliqués dans l'attaque terroriste de Madrid du 11 mars dernier. Pousser les pays ayant reconnu la RASD de revenir sur leur position. Et faire de l'ombre à la dimension algérienne dans le Sahel.

Le départ de James Baker comporte plusieurs interprétations. Mais, il signifie avant tout que l'administration Bush ne veut pas contrarier le Maroc, le poulain préféré de la France. Ainsi, même si les Etats-Unis cultivent une rivalité avec la France, ils ne souhaitent pas, du moins pas pour l'instant, l'avoir sur la liste des adversaires. Ils cherchent, par conséquent, à renouer avec elle, quitte à sacrifier le Sahara occidental et le peuple sahraoui sur l'autel des relations franco-américaines et américano-marocaines. Baker n'est pas sans savoir toutes ces tentatives émanant de Paris, Washington et Madrid, en vue de régler le problème du Sahara occidental, aux dépens du peuple sahraoui et en dehors du cadre onusien... Outre les considérations liées à la prochaine élection présidentielle aux USA (pression du lobby juif proche du royaume marocain), au bourbier irakien et aux questions pétrolières, l'ancien secrétaire d'Etat américain a compris que sans l'appui de l'administration Bush et sans la volonté de la France de faire pression sur le Maroc, pour l'amener à accepter son plan, sa mission serait compromise. M. Baker ne pouvait se permettre un quelconque échec à 78 ans, d'autant qu'il a lui-même déclaré un certain 22 avril 1997 : " Je ferai tout mon possible pour réussir la mission et je crois posséder l'expérience nécessaire pour contribuer au règlement du problème ".

Nul besoin de revenir sur les pressions qui sont exercées régulièrement de l'intérieur et de l'extérieur sur l'Algérie, pays d'accueil des réfugiés sahraouis et pays observateur du processus de paix au Sahara occidental. Même si la position de l'Algérie demeure constante (respect de la légalité internationale et du droit du peuple sahraoui à l'autodétermination et à l'indépendance), l'incapacité des dirigeants algériens de faire prévaloir leur point de vue sur le sujet sahraoui est difficile à comprendre. N'y a-t-il plus de volonté réelle de la part des gouvernants actuels algériens de défendre le dossier de décolonisation comme cela se faisait auparavant ? Est-il possible que les nouveaux dirigeants cherchent à abandonner le chemin suivi jusque-là, en repoussant des " lignes rouges " ? Le poids des pressions serait-il vraiment à l'origine du " relâchement " diplomatique ?

Il y a des mots et des phrases, mais encore des démarches, qui prêtent à confusion et soulèvent maintes interrogations, pas seulement chez les Sahraouis, mais aussi chez les Algériens, si les explications tardent à éclaircir les horizons. C'est le cas de ce général algérien à la retraite, ayant occupé le poste de ministre de la Défense nationale, qui se lance dans l'assaut de la prose et déclare que " l'Algérie n'a pas besoin d'un Etat à ses frontières ", en remettant en cause ses propres écrits. C'est aussi le cas des révélations du président Bouteflika qui, à la veille de sa réélection (en avril 2004), promet qu'aucune goutte de sang ne coulera pour le Sahara occidental. C'est d'ailleurs le même Chef de l'Etat qui, auparavant, indiquait qu'il ne pouvait être plus Marocain que les Marocains et plus Sahraoui que les Sahraouis. C'est enfin le même président algérien qui plaide pour une réconciliation nationale, sans préciser clairement les lignes de démarcation entre les agresseurs et les victimes…

Oui, les autorités algériennes et sahraouies, après avoir accepté " avec des réserves " le plan de paix pour l'autodétermination du peuple du Sahara occidental (plan Baker II), ont fini par ne plus parler de ces réserves. Je dis cela, parce que la démission de James Baker, même prévisible, ne devait pas s'opérer aussi " froidement ", sans protestation ni contestation…

Oui, les dirigeants algériens et sahraouis donnent l'impression de camper sur des positions défensives et tactiques. Je ne dis pas que la situation est simple pour eux, mais il faut convenir que dans un contexte de partialité flagrante de l'ONU dans une affaire de décolonisation, c'est bien l'Algérie qui dispose de moyens adéquats, médiatiques, diplomatiques et autres, capables de concurrencer le Maroc. Et non les Sahraouis. Dans cette conjoncture de " surenchères diplomatiques et de luttes d'intérêts internationaux " au détriment des droits du peuple sahraoui, il arrive aussi à l'Algérie d'exercer des pressions sur les Sahraouis, lorsque ces derniers, dirigeants et citoyens, envisagent de mettre fin à un cessez-le-feu, qui ne sert en fin de compte qu'à pérenniser les positions et les gains de l'occupant du territoire non autonome du Sahara occidental.

Voilà les raisons pour lesquelles j'ai écrit plus haut que je ne suis pas été très surprise de lire un tel appel, même si je déplore l'absence de signatures des initiateurs de l'appel aux " nationalistes " sahraouis.

Mais, de là à mettre le Maroc et la direction du Front Polisario sur le même pied d'égalité, en les qualifiant tous deux d'" ennemis " sans aucune distinction, c'est pousser le bouchon trop loin. Etant des " nationalistes " et ayant dans leurs rangs des " cadres fondateurs du Front Polisario ", ces derniers devraient savoir que l'objectif numéro un du Maroc a toujours été d'abattre le Polisario, en tant que mouvement de libération nationale et représentant unique et légitime du peuple sahraoui, un mouvement qui est reconnu par l'UA (ex-OUA) et l'ONU. Aussi, exiger dans les conditions présentes, " une démission collective " de la direction du Polisario, c'est offrir sur un joli plateau la tête du mouvement indépendantiste sahraoui, au Maroc et à ses alliés.

Ce n'est pas la première fois que le Polisario est confronté à de telles situations. Pourtant, l'appel daté du 4 juillet dernier mérite une réaction, ferme, efficace et transparente, des dirigeants sahraouis. Ces derniers devraient prendre au sérieux cette affaire, en admettant que les instigateurs de cette initiative ont de bonnes intentions, qu'ils risqueraient d'être manipulés par les services de renseignements étrangers, marocains spécialement, s'ils ne sont pas pris en charge à temps par le Front Polisario. Les responsables sahraouis devraient également réagir pour dénoncer ces instigateurs, dans le cas où ces derniers et leurs objectifs sont déjà connus. Les ignorer ou les sous-estimer aujourd'hui pourrait s'avérer plus dangereux que de les démasquer et/ou d'ouvrir un débat démocratique. Les ignorer pourrait aussi semer le doute dans l'esprit d'autres Sahraouis sincères, mais frustrés par cette situation de " ni guerre ni paix ", qui pourraient alors se joindre à leur initiative. Dans un tel cas de figure, ce serait le début d'une hémorragie dans les rangs des Sahraouis, un saignement qui profiterait aux thèses marocaines, relatives à la fin du mouvement sahraoui d'indépendance et du référendum d'autodétermination.

L'Algérie, de son côté, devrait se remettre sérieusement au travail, pour empêcher le Maroc de tirer profit de la conjoncture actuelle, protéger davantage nos intérêts nationaux et défendre le droit des Sahraouis à choisir librement leur destin.

Alger, le 09 juillet 2004.


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